La réforme du système partisan engagée au Bénin, sous la présidence de Patrice Talon, avec à la clé l’adoption de la Charte des partis politiques et du nouveau Code électoral, continue de faire des vagues. Béninois de la diaspora, Enseignant chercheur à l’Université du Québec à Montréal, membre de l’Organe scientifique de la société quebecoise de droit international (Sqd), Consultant auprès de plusieurs organisation internationales, Directeur de Pinox international, Evariste Sonon, s’est intéressé à cette actualité. Pour lui, l’avènement de ces textes de lois constitue un vrai recul démocratique. Lire les raisons avancées.
Le nouveau code électoral et la nouvelle charte des partis politiques portent les marques d’un véritable recul de notre système démocratique et si nous n’y prenons pas garde, les effets de ces réformes pourraient réveiller les vieux démons de coups d’État intempestifs. Cette rupture non consensuelle du Pacte politique issu de la Conférence nationale affaiblit dangereusement les piliers de notre démocratie.
Depuis deux ans, le gouvernement de la Rupture a engagé des réformes politiques au pas de charge. Ces réformes interviennent dans un climat sociopolitique très délétère. Issac Asimov disait dans les Cavernes d’acier, les hommes politiques prennent souvent leurs propres lacunes pour celles de la société et cherchent à réformer ladite société parce qu’ils sont incapables de se réformer eux-mêmes.
Le système partisan béninois est en réalité le fruit d’une prise de conscience collective des tribulations politiques du pays depuis l’indépendance jusqu’au début des années 90. En instaurant le multipartisme intégral, les constituants béninois ont voulu ainsi conjurer les mauvais sorts du monolithisme du PRPB et éviter en même temps les instabilités politiques du triumvirat.
À la Conférence des forces vives de la Nation de février 1990, l’option du multipartisme intégral a été faite pour régir notre système partisan. L’article 5 de la constitution pose clairement les bases juridiques de ce pacte politique. Cette option a été également réaffirmée au plan législatif par la loi n°2001-36 du 14 octobre 2002 portant statut de l’opposition.
Les constituants béninois sont allés plus loin en garantissant à chaque citoyen béninois la liberté d’association, de pensée et d’expression sur la gestion de sa cité.
Depuis 1990, le retour du multipartisme a déchaîné les passions politiques avec une prolifération des partis politiques. Malgré toutes les critiques, cette pluralité de l’offre politique renforce la vitalité de la démocratie béninoise. La paix et l’alternance politique sont garanties malgré quelques tensions politiques à la veille des grandes échéances électorales.
La dénonciation du système partisan relève d’une escroquerie intellectuelle savamment entretenue par les acteurs politiques qui sont directement à l’origine des tares de ce système. La prolifération des partis politiques n’est qu’une conséquence symptomatique du déficit de gouvernance démocratique au sein des partis traditionnels.
Toute la classe politique appuyée par quelques experts autoproclamés pointe du doigt le nombre de partis politiques comme une menace à notre système démocratique. Cette escroquerie intellectuelle n’a que seul but de détourner l’attention du peuple béninois des réels problèmes qui minent notre système politique à savoir:
– L’absence de gouvernance démocratique au sein des partis politiques
– Le phénomène de la transhumance politique et
– L’instrumentalisation des institutions de la République.
Vers une polarisation ploutocratique du paysage politique béninois
Le nouveau code électoral et la nouvelle charte des partis politiques visent à remodeler profondément le paysage politique béninois par le regroupement « à marche forcée » des partis politiques et l’instauration de critères drastiques d’exclusion des jeunes et des opposants.
Cette volonté du Bloc de la Majorité parlementaire (BMP) de procéder à un toilettage profond de la carte politique ne saurait ignorer l’esprit de la constitution béninoise qui milite ouvertement en faveur du multipartisme intégral.
Le multipartisme constitue, avec la liberté de la presse, l’une des garanties qu’ont les citoyens pour contrôler le pouvoir exécutif. Il suppose que l’Exécutif accepte la présence et la « libre » participation de plusieurs sensibilités dans les débats politiques et au cours des élections.
L’ambition de regrouper les partis politiques en de grands blocs est noble mais cette transformation du paysage politique ne peut s’opérer sous la contrainte.
L’histoire politique de notre pays nous enseigne que les blocs politiques finissent toujours par des alliances contre nature et des affrontements violents entre régions.
Quoique moins diffus en apparence, le clivage régional reste très fort et pèse beaucoup dans les choix politiques au Bénin. Les affinités ethniques très répandues dans l’organisation sociale, guident les choix politiques et forgent parfois le socle identitaire face à la diversité de l’offre politique.
Toute tentative de rationalisation forcée de notre système partisan aboutirait, à coup sûr, à la tripolarisation de la vie politique béninoise avec des conséquences fâcheuses. Cette polarisation ne fera qu’exacerber la méfiance et le désintérêt des populations envers les partis politiques et cristalliser davantage les frustrations.
L’ethnicité sera davantage utilisée comme un levier d’hégémonie politique et de conquête du pouvoir. Les grands blocs politiques en gestion se forment déjà sur une base régionale et deviendront tôt ou tard des plateformes de revendication de la prétention légitime des groupes ethniques au développement de leurs localités. Ces partis sauront tirer argument du déséquilibre réel de développement entre régions pour accentuer la victimisation des populations et en faire un ressort de mobilisation politique.
Notre histoire politique récente nous enseigne que la perfidie et le pervertissement qui caractérisent la polarisation ploutocratique peuvent plonger le pays dans un désastre si on y prend garde.
La Loi 2018-31 portant code électoral en République du Bénin adoptée le 3 septembre 2018 marque une véritable rupture avec notre Pacte politique issu de la Conférence nationale de 1990. Il s’agit d’une violation flagrante de la constitution béninoise mais au-delà des aspects juridiques, ce nouveau code électoral constitue une vraie menace à la stabilité politique du pays.
D’abord l’imposition d’un minimum de 10% du suffrage au niveau national pour espérer sécuriser ses sièges aux législatives est une mesure dangereuse qui met à mal la cohésion nationale et l’esprit même du découpage électoral, lequel constitue le fondement des élections législatives et locales. À quoi serviront alors nos vingt quatre circonscriptions électorales ?
L’attribution du titre d’élu national à un député n’est que le prolongement de la représentation de l’institution qu’est l’Assemblée nationale sur la personne du député. En réalité l’Assemblée nationale est composée de grands élus locaux qui incarnent toutes les sensibilités sociopolitiques du pays. Empêcher un député élu de siéger à l’Assemblée nationale sous prétexte que son parti n’a pas obtenu 10% du suffrage national relève d’un déni de démocratie, lequel pourrait créer un soulèvement des populations locales dont les voix ont été ignorées.
Ensuite l’imposition de cautions faramineuses aux élections présidentielles (250 millions) et législatives (249 millions) constitue une discrimination basée sur le critère de la fortune. Notre système politique est désormais soumis aux aléas d’une polarisation ploutocratique avec la constitution à termes de courants d’opinion extrêmement forts et une division profonde du pays et de la population.
Les systèmes politiques dans lesquels l’argent est le seul ascenseur électoral finissent toujours par être rejetés par une révolte du bas peuple contre la caste bourgeoise.
Avec ce nouveau code électoral et la Charte des partis politiques, le futur parlement béninois à défaut d’être bicolore serait une chambre tricolore dominée par une caste bourgeoise soigneusement triée sur le volet.
Les élections deviendront un simple rituel par lequel les candidats parachutés par les grands blocs pourront s’imposer aux véritables acteurs locaux. Ainsi le grand bloc politique bien ancré au sud, au centre ou au nord raflera tous les sièges au sein des instances politiques nationales et locales de sa sphère d’influence.
Enfin l’instauration du financement public des partis politiques ne doit pas se faire au détriment de l’investissement partisan qui constitue l’essence même de la vie d’un parti politique.
Pour être socialement et éthiquement acceptable, le financement public d’un parti politique doit être nécessairement accompagné d’une exigence de démocratisation des organes internes du parti.
L’État ne doit pas se substituer aux militants pour prendre en charge le financement des activités politiques des partis politiques et le train de vie de leurs dirigeants sans aucune contrepartie d’intérêt public.
En somme, la réforme des systèmes partisan et électoral aurait été la bienvenue si elle
avait pris en compte la problématique du fonctionnement interne des partis et vise à renforcer plutôt le libéralisme politique et non un régime censitaire. Toute volonté de réduction artificielle ou forcée du nombre de partis politiques entraverait l’expression démocratique et la saine émulation politique.
Tant qu’il n’y aura pas une gouvernance démocratique au sein des instances dirigeantes des grands partis politiques, le phénomène de la prolifération des petits partis politiques ne s’affaiblirait pas. Sans régler ce préalable, toute imposition du nombre de partis politiques par un mécanisme ploutocratique serait vouée à l’échec ou conduirait au rejet des grands partis et au réveil des vieux démons des coups d’États.