Au sujet de l’ouvrage ‘’Le Colonel Zibotey’’ de Houénou Kowanou : Entre merveilleux et développement personnel romancé
D’un livre à l’autre, on en arrive à remarquer que certains auteurs écrivent parce qu’ils en ont à dire mais qu’ils ne se contentent pas pour autant de juste raconter une histoire. Ils s’attardent sur le comment véhiculer l’intrigue. Le Colonel Zibotey, roman de l’écrivain béninois Houénou Kowanou paru chez Laha éditions (Cotonou) en 2017 porte les signes de ces œuvres qu’on ne lit pas pour oublier la vie, pour paraphraser Claude Roy dans son essaiDéfense de la littérature (Gallimard, Paris, 1968, 192 p).
Ecrit en 359 pages, Le Colonel Zibotey est la trajectoire alambiquée du prodige Tobi, jeune cadre de l’armée, « un super militaire » (p.64) que le mépris, la jalousie, et l’acharnement de son supérieur hiérarchique n’a pas modifié.Tobi, un jeune lieutenant discipliné et rempli de valeur avec à son actif des exploits de guerre comme pilote et stratège, est apprécié de la haute hiérarchie militaire et naturellement aimé des femmes dont il se garde pourtant d’en bénéficier les faveurs. Seulement qu’il y a le chef du camp d’instruction des armées, le colonel Zibotey, lui « géant, tête rasée en permanence, moustache comme ça… il aime parler de lui-même.» (p18). Ce dernier est déterminé à nuire à son subalterne sans raison. Non ! Plutôt parce que le jeune lieutenant est brillant et fait battre le cœur des femmes qui rejettent ses avances à lui le colonel. Quoique Nourou, la collègue et promotionnaire de Tobi cède régulièrement aux caprices de la libido de Zibotey, elle ne manque guère de rappeler au jeune lieutenant qu’il n’a juste qu’à lui dire oui car c’est clair à son niveau que son chef-amant n’est qu’un « polygame inconscient » (p71) avec « une femme légitime ; six illégitimes ; maîtresses incomptables » (ibidem). Tobi lui, veuf, il n’envisage pas se remettre avec une femme si ce n’est Lorry. Zibotey ne se contente plus de l’envoyer « au youf » pendant des semaines. Il ourdit des plans pour attenter à sa vie. Tobi démissionne et disparaît. Le colonel est fait ministre de la défense. En voyage officiel pour acquérir du matériel utile à son département ministériel, le Ministre Zibotey tout enthousiaste de pouvoir détourner une masse d’argent et dealer «fifty-fifty» (p191) avec l’expert, aura la surprise de se retrouver devant Tobi. Zibotey est limogé et crève à force de chercher à nuire. Tobi, à la faveur d’une mission au service des parents de sa mère (la reine blanche) qu’il ne connaissait pas, se retrouve en Afrique et fortuitement dans sa tribu. Il est fait roi tel que l’avait prévu la prédiction. Par la suite, Il finit président de la république.
Une narration entraînante jonchée de pauses descriptives offrant des images qui font vivre les faits presque de la même façon que les personnages. La forme enchante et le fond interroge.
La femme, le sexe fort
Si le parcours du héros de ce roman force la curiosité et l’admiration, il n’en est pas moins du statut de la femme tel qu’arboré en l’occurrence par Lorry et sa mère, la reine, Nourou ainsi que Iyabo. Le premier chapitre intitulé «Toutes les amitiés devraient commencer par un braquage» campe agréablement le décor, avec un sens de l’initiative chez la narratrice personnage Lorry, se positionnant ainsi comme une femme qui sait ce qu’elle veut et sait se donner les aptitudes pour l’obtenir. Il faut percevoir le message de la femme qui décide, celle qui choisit son mari. Il en est de même pour sa mère dont il est affiché dès les premières pages de ce livre l’image de l’épouse battue «tous les jours pour un oui ou un non», sans que celle-ci n’ait jamais eu à «songer au divorce »p.44. C’est à croire qu’il est laissé à dessein à l’homme l’illusion d’être le plus fort alors que celui-ci n’est même pas fichu d’être certain que l’enfant qui l’appelle papa est réellement le sien. Nicolas, cet instituteur qui fait de la violence sur sa femme son sport favori et taxe cette dernière de stérile parce qu’elle ne lui donnait pas d’autres enfants n’est en réalité qu’un infécond. Lorry sa supposée fille est plutôt la fille d’un cultivateur mais sa mère a tôt fait de décider de qui sera son père alors qu’elle tombait enceinte au collège. Nicolas et sa femme ici dans l’œuvre de HouenouKowanou font penser à Lambert et son épouse dans la nouvelle Sept jours et sept nuits de l’écrivaine béninoise Carmen Toudonou -in Carmen FifonsiAboki (CFA), Nouvelles, Venus d’ébène, Cotonou, 2018, 212 pages. Lambert lui est fécond mais sa virilité se manifeste plus aisément pour bastonner sa femme que pour remplir son devoir conjugal. Il ne sera pas le père de tous ses enfants.
Il faut se préoccuper de l’état psychologique de celui-là qui croit ne pouvoir exprimer son autorité que par la violence. La violence serait-elle résolument l’identifiant des faibles ? Papa ; pourquoi as-tu peur des bestioles, alors que tu sais mater les hommes ?» (p.30), demande Lorry à Nicolas. Et ce n’est pas Zibotey, le colonel qui échappe au constat, en s’acharnant contre un jeune qui a plus de succès que lui, encore moins en quémandant du plaisir auprès de sa subalterne et maîtresse Nourou qui ne rate d’ailleurs pas d’occasions pour moraliser son supérieur hiérarchique le très craint colonel Zibotey. Zibotey a tenté plus d’une fois d’éliminer Tobi en vain. Ses actes aussi désespérés que méchants peuvent susciter intérêt quant à son équilibre psychique. Son attitude donne raison à Yann Moix qui pense, notamment à travers son roman Partouz(2014, Grasset, Paris, 409 pages), qu’un homme dont les avances sont repoussées est un danger pour l’humanité. Le romancier réalisateur et critique français affirme d’ailleurs que l’attentat du 11 septembre 2001 a eu lieu parce que Mohammed Atta a un trop plein de frustrations amoureuse et sexuelle causées par une certaine Pamela Wiltshire. Sauf qu’ici, le colonel Zibotey n’en a cure d’amour. Il est surtout animé par une grande envie de domination et de gloire.
Autant de perversité qui contraste avec la beauté narrative et de construction de ce livre. La répartie des personnages lors des dialogues, les coups de théâtre dans la trame, l’élégance de l’oralité et l’alternance des récits avec une narration à focalisation zéro, le délice dégouline le long des 359 pages de ce roman.
Tradition, destinée,… oracle d’une belle prose romanesque
Enchâssement de récits et mises en abîme dans ce roman trouvent leur répondant dans la trajectoire perpendiculaire des personnages. Le parcours de ceux-ci, de parfaits inconnus, s’entremêle et il se révèle qu’ils se connaissent sans le savoir. Une sorte de destins imbriqués. A mesure que les pages s’égrènent les pièces du puzzle se réunissent mais laissant quand même un arrière-goût de mystère favorisé par le chassé-croisé «merveilleux-fantastique». Les richesses de l’oralité éclosent avec une orchestration narrative au goût de charme. Le lecteur a du plaisir à suivre, entre autres, les discours qui entourent le mariage traditionnel, les règlements de conflit, l’humilité et l’auto dérision qui vont avec, quand la belle famille s’estime fautive (pp.142-147). Ce livre ne se confond à aucun cliché gratuit de célébration ou valorisation de la tradition. Il ne fait pas le contraire non plus. Mais il est loisible de constater la démarche discursive de l’auteur mettant chaque lecteur devant ses responsabilités d’analyses et de réception. A-t-on été méchant envers Woumé et Tobi au nom de la tradition ? Tobi est-il sorti victorieux de toutes les péripéties parce que sous onction de la même tradition ? A la suite de Les enfants de la poubelle son premier roman, Houénou Kowanou dans Le Colonel Ziboteytrace la présence certaine d’énergies liées aux entités de la tradition dans le cheminement de l’homme ou de ce qui peut être considéré comme son accomplissement.
Source : Awalé Afriki