Mardi 15 janvier 2018, les juges de la Cour pénale internationale ont décidé de la mise en liberté immédiate de l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé, son ancien ministre ivoirien de la Jeunesse, de la Formation professionnelle et de l’Emploi à la suite de l’élection présidentielle controversée de novembre 2010. Tous deux étaient accusés de crime de guerre et de crime contre l’humanité devant la CPI pour leurs rôles présumés dans la guerre qui a ravagé la Côte-d’Ivoire de 2010 à 2011 après cette élection dont Laurent Gbagbo et Allassane Ouattara revendiquaient tous deux la victoire. Dans le camp de Allassane Ouattara, la CPI n’a, jusqu’à ce jour, accusé personne d’un quelconque crime. Ce qui a amené les partisans de son adversaire et certains observateurs à crier à la justice des vainqueurs et à mettre en doute l’impartialité de la Cour dans ce dossier.
Selon les chiffres officiels de la Commission nationale ivoirienne d’enquête, cette guerre a fait 3 248 morts, dont 1 452 imputées au camp Gbagbo et 727 au camp, et 1 069 non attribuées à un camp ou à l’autre en raison de problème d’identification des victimes. Elle a fait également des milliers de blessés. Des personnes qui en gardent encore les séquelles. Certains des traumatismes et d’autres des handicaps à vie. Elle a détruit des biens des citoyens et du pays. C’est dire que la guerre a été réelle. La guerre a eu lieu. La guerre a dévasté la Côte-d’Ivoire. Il ne s’est pas agi d’une fiction.
Mais contre Gbagbo et Blé Goudé, les juges de la CPI n’ont pas suffisamment de preuves qu’ils aient été coupables d’un quelconque crime. Il n’y a pas de preuves qu’ils aient donné un quelconque ordre pour que ces atrocités soient commisses. Les juges ont donc plaidé leur acquittement pur et simple ! Certes, au lendemain de leur acquittement, la procureure de la CPI, Fatou Bensouda, a interjeté appel de la décision de les remettre en liberté. Elle a demandé leur maintien en prison, le temps qu’elle reçoive et examine les motivations détaillées des juges concernant l’acquittement. Car, elle craint que l’ancien président ivoirien et l’ex-leader des Jeunes Patriotes ne prennent la fuite avant une éventuelle poursuite du procès.
Jusqu’à ce jour, la CPI n’a encore accusé personne dans le camp Ouattara comme ayant une part de responsabilité dans la guerre qui a ravagé la Côte-d’Ivoire, faisant des milliers de morts, des milliers de déplacés, des milliers de blessés, détruit les biens des citoyens, les condamnant au dénuement et à la misère.
A l’annonce de la décision d’acquittement de Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé, leurs partisans ont sauté de joie. Certains ont même brandi devant les caméras de télévision une bouteille de champagne ! Dans toute l’Afrique et ailleurs dans le monde, les réseaux sociaux se sont enflammés du côté des anti-CPI pour célébrer la victoire d’une Afrique sur ce qu’ils qualifient d’impérialisme.
Une double peine pour les victimes et leurs familles
Avant la guerre de 2010 à 2011, la Côte-d’Ivoire en a connu une première de 2002 à 2005 qui a fait aussi des milliers de victimes. Dans une guerre, la peine des victimes est indescriptible et il est inutile de la décrire. Elle est évidente. Mais, l’espoir qu’un jour justice puisse être faite soulage les victimes et leurs familles, et panse les plaies sans effacer les séquelles. Sur un plan métaphysique, certains disent que c’est lorsque justice est rendue que l’âme des personnes disparues se libère. Il n’est pas rare d’entendre certains parents dire qu’ils pourront faire leur deuil dès l’instant où les auteurs de la mort de leurs proches sont sanctionnés.
A la fin de la guerre de 2010 en Côte-d’Ivoire, cet espoir est né dans l’esprit des victimes et de leurs familles lorsque la justice internationale s’est saisie du dossier. Au-delà de la controverse relative au fait que personne dans le camp de Ouattara n’était inquiétée par la CPI, le transfèrement de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé à la CPI a donné aux victimes l’espoir qu’elles sauront enfin comment ils ont pu souffrir ces atrocités et qui en sont les responsables, au moins dans le camp Gbagbo en attendant. Certes, ne voir personne dans le camp Ouattara au banc des accusés laissait le sentiment que la justice ne serait que partielle et partiale. Mais, l’acquittement des deux emblématiques accusés est une nouvelle peine pour les victimes et leurs familles.
La première peine, ce sont les atrocités vécues et qui ont causé la mort des milliers de personnes, infligé à d’autres des blessures traumatisantes et handicapantes. La deuxième peine, c’est l’impunité que vient consacrer l’acquittement de Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé. 1 452 morts sans coupables donc ! Déjà, dans le camp Ouattara, aucun responsable n’est désigné pour les 727 morts attribuées à ce dernier par la commission nationale d’enquête.
La guerre de 2010 à 2011 a détruit des milliers de vies, des centaines de familles. Mais les deux premiers accusés devant la CPI viennent d’être acquittés. Cet acquittement vient doucher l’espoir des victimes de faire un jour le deuil de leurs morts et les anéantit définitivement. Cela voudra pour les victimes : « personne ne vous a rien fait. Allez chercher ailleurs les causes et les auteurs des atrocités que vous avez subies. Ils ne sont pas ici ! ». C’est un coup du sort à attribuer au destin. Elle n’est pas l’œuvre d’une personne.
Pour les survivants et les familles, c’est pire que la situation de ceux qui sont morts de cette guerre. Car, les morts ont emporté leurs souffrances. Les survivants et les familles des victimes devront vivre avec les leurs et cette deuxième peine de l’acquittement de Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé devant la CPI.
La guerre en Côte-d’Ivoire a-t-elle été une fiction ? Il reste aux Ivoiriens, tant dans le camp de Gbagbo que de Ouattara, à dire à la face du monde si la guerre dans leur pays a été une fiction ou si elle a été réellement vécue ; s’il y a effectivement eu des morts, la destruction des biens, des habitations privés ou publics.
Avec cet acquittement et la non poursuite des auteurs présumés dans le camp de Ouattara, il y a à craindre qu’un jour naisse et se développe la théorie selon laquelle « dans une guerre, il serait préférable de se retrouver du côté des responsables des atrocités, des bourreaux. Parce qu’un jour, la justice internationale pourra vous acquitter faute de preuves et la justice nationale, selon que vous êtes du côté des vainqueurs, pourrait ne jamais vous inquiéter ».
Les partisans de Gbagbo se réjouissent de son acquittement. Ceux de Ouattara doivent certainement se dire qu’ils n’ont plus rien à craindre de la CPI qui ne réussira pas à réunir de preuves contre eux. Les victimes mortes et leurs familles sont les perdantes. Comme l’a dit un internaute à l’annonce de la décision d’acquittement, « finalement, Ouattara est président, Gbagbo est libéré. Et ceux qui sont morts ? »
Faut-il conclure que les crimes de guerre en Côte-d’Ivoire ont été parfaitement commis ?
Tandjiékpon MICHOAGAN