Prof Jeanne Zoundjihekpon à propos de la Convention Upov : “C’est la disparition des variétés paysannes traditionnelles’’
La polémique autour de la ratification de la convention internationale pour la protection des obtentions végétales (Upov) s’enfle et les organisations paysannes restent unanimes sur le fait que ladite convention serait dommage pour l’agriculture béninoise. Dans un entretien exclusif accordé à votre journal, Jeanne Gaston Zoundjihekpon, Professeur titulaire de Génétique et Amélioration des plantes, Directrice du Laboratoire de Génétique Ecologique/Faculté des Sciences et Techniques à l’Université d’Abomey –Calavi, craint la disparition des variétés paysannes traditionnelles de chez nous et l’érosion de notre biodiversité ou ressources phytogénétiques. Lire l’entretien !
Depuis quelques années, plusieurs Organisations paysannes sont farouchement opposées à la Convention de l’Upov notamment l’acte révisé de 1991. Elles ont toujours manifesté contre sa ratification par le Bénin. Pourquoi ?
Avant de répondre à votre question, permettez – moi d’expliquer ce que c’est que l’UPOV91. Il s’agit de l’Acte 1991 de la Convention Internationale pour la Protection des Obtentions Végétales. Cette Convention a été adoptée à Paris le 02 décembre 1961, puis révisée à Genève le 10 novembre 1972, le 23 octobre 1978 et le 19 mars 1991. Il faut comprendre par Obtentions Végétales, ce qu’on appelle généralement, les variétés améliorées. Les Organisations Paysannes sont opposées à la ratification de cette Convention par l’Assemblée Nationale de notre pays pour plusieurs raisons. L’UPOV est une organisation intergouvernementale qui travaille pour la privatisation des semences, partout dans le monde. L’UPOV reconnaît des Droits de Propriété Intellectuelle sur les semences améliorées, et les paysans n’auront plus la possibilité de conserver les semences issues de ces variétés, ou de les échanger entre eux. Mais comme vous le savez, pour créer une Obtention Végétale ou variété améliorée d’une plante, l’on part toujours d’une plante qui existait avant, où une variété locale ou une espèce existant dans les écosystèmes naturels. On ne peut donc pas privatiser une semence comme s’il s’agit d’un produit industriel créé de toute pièce. Si le Bénin adhérait à l’UPOV, l’une des conséquences, c’est la disparition des variétés paysannes traditionnelles de chez nous et l’érosion de notre biodiversité ou ressources phytogénétiques. Ce qui serait tout de même dommageable pour notre agriculture.
Si l’Etat estime que c’est nécessaire d’adhérer à l’UPOV, quels sont les préalables avant la ratification ?
Pour moi, il n’y a pas à adhérer à l’UPOV, et par conséquent, il n’y a pas de préalables. L’Etat béninois a adhéré à l’Organisation Mondiale du Commerce, et l’Accord sur les Droits de Propriété Intellectuelle stipule en son article 27(3)b qu’un Etat membre …….peut adopter un système sui generis….c’est-à-dire un système juridique propre à son pays. Si l’Etat béninois estime qu’il faut adopter un système juridique pour protéger nos variétés améliorées, je suggère l’organisation d’une assise nationale des intellectuels traditionnels (Vrais responsables paysans détenteurs des connaissances paysannes endogènes et les vrais tradithérapeutes) et modernes (généticiens, agronomes – sélectionneurs, anthropologues, juristes) spécialistes de la question semencière. Les échanges devraient permettre à une équipe pluridisciplinaire composée de toutes les parties prenantes, de proposer un cadre juridique national, puis sous-régional, car la biodiversité n’a pas de frontières et le Bénin appartient à des organisations sous-régionales comme l’UEMOA, la CEDEAO et le CILSS, chacune avec une stratégie agricole. C’est la seule voie pour obliger l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle qui a adhéré à l’UPOV et oblige maintenant les pays membres à y adhérer individuellement, de comprendre que son adhésion va contre les intérêts de la majorité des paysans africains.
Récemment, à l’Institut Français, vous avez relevé des passages du livre de M. Serge HAMON qui fondent votre position. Est-ce à dire que l’Europe est entrain de rejeter une convention qu’on nous propose ?
Oui et non. D’abord, je voudrais préciser que l’ouvrage dont vous parlez est intitulé : L’Odyssée des plantes sauvages et cultivées-Révolutions d’hier et défis de demain. Il peut être commandé en passant par le site web de l’IRD ou par sa Représentation à Cotonou. A la page 182 de ce livre, l’auteur écrit : (…..) Il est à noter que, aujourd’hui, la plupart des organisations paysannes rejettent le système de l’UPOV, comme de nombreux pays en développement où les agriculteurs continuent souvent à produire eux-mêmes leurs semences……Vous voyez clairement que ce n’est pas seulement au Bénin que les organisations paysannes rejettent l’UPOV. Et actuellement en France, la Confédération paysanne travaille activement à la recherche des semences paysannes disparues de leur territoire. Puis à la page 183, l’auteur poursuit ……La protection intellectuelle de l’innovation devint, dans le domaine végétal, un outil de spoliation par quelques grandes entreprises d’un patrimoine ancestral et commun…..C’est sans commentaire. J’avais tenu à relever ces passages à la présentation du livre à l’Institut Français pour montrer que les organisations paysannes du Bénin qui rejettent l’UPOV sont dans leur rôle, et qu’ils défendent bien leurs intérêts, avec des raisons reconnues même au niveau international. Et j’ai profité pour interpeller les responsables de la Recherche Scientifique de notre pays, pour qu’ils intègrent la dimension de Protection du Patrimoine Génétique Africain dans la question semencière, à l’heure de la Rupture. Mais il ne s’agit pas de rédiger une règlementation par des experts entre les quatre murs comme ils sont en train de le faire actuellement, mais comme je l’ai dit plus haut, il faut associer les acteurs intellectuels locaux.
Quel est l’intérêt du gouvernement à ratifier une telle convention ?
C’est de favoriser les entreprises semencières et d’attirer les investisseurs dans notre pays. Mais comme vous l’avez vu, cela va se faire au détriment des producteurs et paysans à la base. Et c’est ce qui justifie l’opposition de ces derniers à cette convention.
Un appel ou un message à lancer ?
J’ose espérer que la nouvelle Assemblée Nationale ne ratifiera pas cette convention rejetée par les organisations paysannes de notre pays, et des pays en développement dans le monde. Merci de m’avoir donné la parole.
Entretien réalisé par Aziz BADAROU