Incarcération d’un journaliste au Sénégal : Appel à la libération d’Adama Gaye

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Par Hamadou Tidiane SY

«Il n y a pas de longues journées qui ne se terminent par une nuit». Ahmadou Kourouma, écrivain.

Je ne défends pas des hommes. Plutôt des idées et des principes. Du point de vue des principes, ce qui arrive à Adama Gaye est «injuste». Je vous dirai pourquoi, pour peu que vous mettiez la colère et les passions de côté.

Une précision pour ceux qui me le demandent depuis. Malgré mon ton critique sur certains sujets, j’essaie de mon mieux de soigner mon langage afin de ne blesser personne, faible ou puissant.

Tout défenseur de la liberté de presse et d’expression que je suis, j’adhère au courant de pensée qui veut qu’il y ait une limite à l’irrévérence. Contrairement à ceux qui marchaient pour le droit de Charlie Hebdo d’insulter le saint prophète de l’islam (PSL). Mais j’accepte que ma manière de voir n’est pas universelle. Je reconnais à ceux qui pensent le contraire leur liberté de choix et de ton.

Les courants de pensée sont faits pour s’opposer. La vérité appartient à Dieu. Adama Gaye le sait. Il sait aussi que sur son style, et sur certains autres points, nous n’avons pas toujours été d’accord. Cela n’enlève en rien les relations amicales et confraternelles que nous entretenons, basées justement sur la confrontation des idées.

Avec Adama, je ne défends pas un «homme». Je soutiens un ami. Un aîné et un confrère pour qui j’ai du respect. Un brillant journaliste au parcours peu banal et l’une des plus belles plumes de sa génération. Je soutiens l’ami et l’écrivain. L’intellectuel, dense et généreux dans le savoir que sait être Adama, me nourrit une estime que je ne saurai trahir. Je reste son ami. Il a tout mon soutien dans l’épreuve qu’il traverse.

Ces clarifications faites, ce que je défendrai ici, et que j’ai toujours défendu, ce sont les principes. C’est de ces principes là que je veux parler. En définitive, c’est ce qui importe. Les principes. Périssables que nous sommes, nous autres les hommes, sommes appelés à partir. Du plus puissant au plus faible. Heureusement d’ailleurs. Restera pour l’histoire et la postérité ce que de notre vivant nous avons fait avec… les principes.

Que la loi s’applique, disent les détracteurs d’Adama, qui depuis son interpellation, veulent le voir croupir en prison. Soit. Je serai très triste pour lui s’il doit s’y éterniser. Je serai encore plus triste pour mon pays. Sa réputation, sa démocratie… et ses institutions malmenées.

Car, excès pour excès, outrage pour outrage, Adama n’est pas le seul dans le style et le ton qu’il a choisis. Il n’est pas le premier à user de l’irrévérence poussée à l’extrême. Je ne le dis pas pour excuser ou dédouaner quelqu’un qui dit «assumer» ses écrits. Mais de grâce allez consulter les archives (largement disponibles sur le web) de tous ces braves gens qui ont injurié, insulté, parfois diffamé !

Des gens qui ont usé et abusé de grossièretés et de propos indécents envers citoyens, hommes politiques, chefs religieux, institutions étatiques, etc.,  notre pays en compte à la pelle. Ils se baladent partout et nous narguent au quotidien en toute impunité. Aucun procureur ne les a jamais inquiétés. Cette inégalité des citoyens devant la loi est injuste.

Tant que nous n’aurons pas résolu cette équation, notre nation ne sera pas en paix avec elle-même.

Je l’avais déjà dit dans l’affaire Khalifa Sall. Je ne le défends pas et je n’ai jamais défendu ses actes. A mon niveau, le débat n’a jamais été si l’ex-maire de Dakar a commis une faute ou pas (il l’a admis), le seul vrai débat c’est pourquoi il est le seul à payer ! C’est là que réside l’injustice.

Les arguties juridiques et les campagnes de communication n’y pourront rien : on fait payer l’ex-maire parce qu’il était du mauvais côté. C’est flagrant. Autant en tant qu’élu, il doit rendre compte, autant tous les autres dans son cas doivent rendre compte. Problème : jusque là, cela ne se fait pas.

Envoyer Adama en procès, et quoi que puissent en dire ses détracteurs, c’est ignorer le principe d’équité de la justice, un des piliers fondamentaux d’un Etat de droit. Alors, notre justice, si elle sort de ce procès, sera comme une belle princesse éclopée ; une vaillante dame amputée d’un de ses membres. Elle risque de boitiller. Si elle ne le fait déjà.

Les principes de la république veulent que nous soyons tous soumis à la loi. Sans parti pris. Avec la même rigueur pour tous. C’est là où, dans notre pays, il y a dysfonctionnement. La facilité avec laquelle nous jouons avec ces principes là – qui sont au cœur du projet démocratique que nous vantent nos dirigeants – pose problème.

Qu’Adama soit jugé par une justice crédible et équitable, je ne m’en offusquerai pas. Lui non plus, peut-être. Lui qui dit assumer ses idées. Surtout au vu de la bataille pour la justice dans laquelle il dit s’être publiquement engagé depuis.

S’il faut juger Adama, il faut aussi envoyer tous ces gens au langage cru devant la justice. Si l’objectif visé c’est d’uniformiser notre langage afin d’en faire (pourquoi pas ?) une succession de mots lisses et obséquieux, tous ces gens au ton irrévérencieux devraient être des co-inculpés d’Adama et le retrouver dans le box des accusés.

Ceux dont je veux parler se reconnaissent. Vous les connaissez aussi. Je suppose que le procureur peut les retrouver aisément. Hélas, je crains qu’aucun d’eux ne sera ni jugé, ni inquiété. Ou alors, pas maintenant. C’est cela qui dérange ceux qui veulent défendre des idées et des principes. Bien au-delà des clivages de partis, des amitiés et des hommes. Les hommes qui, au demeurant, deviendront… poussière. C’est déjà dit.

Adama est incarcéré aujourd’hui en partie pour ses écrits et ses révélations fracassantes sur le pétrole. Pas uniquement et exclusivement parce que sa plume a fourché ; ou qu’il a écrit le mot de trop ; ou qu’il a dérapé… Il faut avoir le courage de l’admettre, au-delà des contingences partisanes. Il est inculpé surtout parce qu’il est du mauvais bord.

Cette iniquité manifeste, qui nie le principe qui veut que tous les citoyens naissent «libres et égaux», n’est pas pour ragaillardir notre démocratie. Il ne rend pas service aux valeurs si généreuses et si pleines d’espérance proclamées par notre constitution, dès son préambule.

L’arrestation d’Adama — et d’Adama seul — n’est pas pour renforcer l’Etat de droit rêvé par les rédacteurs de notre constitution et si patiemment couché sur le papier. C’est cela une des grandes faiblesses de notre démocratie. Le principe sacro-saint de l’égalité de tous les citoyens devant la loi y est bafoué.

Ceux qui ont en charge notre justice et au premier chef, le président de la République, sont interpellés. Je passe outre notre Garde des Sceaux et ceux qui doivent rendre la justice. Rappelons-le, il y a une grande différence entre rendre la justice et jouer aux justiciers.

Adama est désormais un prisonnier d’opinion. Victime de sa plume acerbe contre le président, et de notre fameux «article 80». Article «fourre-tout» s’il en est.

Pour ceux que ça intéresse, «l’offense au chef de l’Etat» est un concept désuet. Rangé aux oubliettes dans toutes les grandes démocraties du monde. Les juristes ne se sont pas trompés cette fois, en disant qu’il fait de tout «ennemi» ou «adversaire» du président de la république un prisonnier potentiel. Vous et moi compris.

Et je termine par là où j’avais commencé : plutôt que de défendre un homme, je défends des idées et des principes. Puisque je rêve de mon pays comme d’un grand pays.

Quant aux hommes – avec nos tares, faiblesses, vices, excès et turpitudes propres, votre serviteur y compris – inutile de s’y attarder, encore moins de les défendre. Nous sommes tous capables du meilleur comme du pire. Cependant, gardons à l’esprit l’ultime vérité, divine et immuable : faibles comme puissants, poussière nous sommes, poussière nous deviendrons. Fort heureusement.

Journaliste, fondateur du site d’information Ouestaf.com et de l’école de journalisme E-jicom. Ashoka & Knight fellow. Fulbright New Century Scholar.

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