Agression du 16 janvier 1977 : Basile Abiodoun mort pour la patrie, sa famille oubliée…

Dans un combat héroïque au petit matin du 16 janvier 1977, l’armée béninoise libérait le peuple face à une agression bien peaufinée des mercenaires. Si, la victoire et la bravoure des soldats sont et seront toujours célébrées notamment à cette date, les familles des sept soldats qui ont péri dans l’attaque se remémorent et se remémoreront toujours ce souvenir douloureux. Basile Abiodoun est l’un des militaires abattus par les mercenaires. Rien ne l’avait empêché de se sacrifier pour sa nation. Même pas l’amour pour sa famille. Aujourd’hui, pourtant, le triste constat que la Patrie n’a pas cru devoir être redevable envers celle-ci notamment ses enfants est patent. Ces derniers, déboussolés, croupissant sous le poids de la misère… De son village Ita-Ogoun à Sakété dans le département du Plateau pour Cotonou où vivent trois de ses cinq enfants, des cris de cœur se font entendre…

Ce 16 janvier 1977, le militaire Basile Abiodoun tombait sur le champ de bataille, les armes à la main. Alors qu’il voulait défendre sa patrie, le Bénin, il ne retournera plus auprès des siens. Oui, Basile Abiodoun a été abattu par des mercenaires. 42 ans après, les faits restent gravés dans la mémoire de sa famille. Ici, dans l’ancien cimetière d’Ita-Ogoun au village d’Igbo-Eyè (ce qui veut dire en nagot, la brousse ou le refuge des oiseaux) à Sakété, repose dans sa tombe, le vaillant soldat. Celui-là même que sa famille considère comme “l’œil de poisson qui ne doit pas disparaître dans la sauce“. Seulement, il a disparu dans la fleur de l’âge et la famille est restée attristée jusqu’à ce jour. Si sa tombe est peu entretenue, sa famille, elle, ne ressemble visiblement plus rien pour les gouvernants qui se sont succédé. De toute façon, c’est le constat fait sur les lieux. Une maison familiale en ruine avec seulement un pan de la clôture encore debout. Au bout du chagrin et face à un désir à combler, il n’y a eu point de cœur généreux pour la famille. « C’était comme si Basile savait qu’il allait mourir et a  invité son père à assister à sa mort tragique. Son papa avait quitté le village Bamgboché depuis le 10 janvier pour rendre visite à Basile. C’est Basile même qui a souhaité qu’il vienne passer quelques jours en sa compagnie. Il avait un ami, Anna Charles. Et, il était avec cet ami  sur la moto Vespa quand il a reçu une balle des mercenaires à Maro-militaire et en est mort », confia son grand-frère Ola-Ifa Michel, rencontré au cimetière où a été enterré le corps du soldat. La petite sœur du soldat tué, Okou Olarewadjou “Iya Agan“ sera davantage précise en relatant les faits. « Cela s’est passé au petit matin et selon ce que son père nous a relaté, Basile n’était pas de garde quand les mercenaires sont arrivés. Mais, quand il a entendu les coups de feu, il a pris son arme et a décidé de sortir surtout après avoir écouté le message du Président Mathieu Kérékou à la radio. Son père s’y est opposé. Et il répondit à son père qu’il devrait défendre la patrie et que s’il y laissait sa peau, il se sacrifiait pour l’avenir de la nation, des générations futures.  Son ami Charles et lui avaient été surpris ou pris en embuscade par les mercenaires mais c’est quand ils ont voulu faire demi-tour que Basile a été criblé de balles dans le dos et il est tombé de la moto et en est mort. Cependant, son ami qui conduisait la moto s’en est sorti sain et sauf», se rappelle encore Okou Olarewadjou, bien qu’elle soit vieille déjà. Coup du destin ! L’ami vit-il toujours ? Difficile de le dire car la famille n’a plus de ses nouvelles depuis que leur fils Basile Abiodoun est décédé. «Ainsi donc, un groupe de mercenaires à la solde de l’impérialisme international aux abois, a déclenché depuis ce matin à l’aube une agression armée contre le peuple béninois héroïque et sa révolution démocratique et populaire en attaquant la ville de Cotonou(…) En conséquence, chaque mili¬tante et militant de la Révolution béninoise où qu’il se trouve, doit se considérer et se comporter comme un sol¬dat au front, engagé dans un combat sacré pour sauver la patrie en danger». C’était ce message lancé à la radio qui amena Basile Abiodoun à répondre à l’appel de la nation. «C’est son père qui nous a annoncé la nouvelle en envoyant une commission au village. Il disait qu’un malheur venait de s’abattre sur lui, son fils était mort. Que son enfant a été emporté par la mort lors de l’agression des mercenaires. Le gouvernement a fini par convoyer, quelques jours après, son corps au village et c’est ici qu’on l’a enterré. Tout le village était en pleurs. Il était très aimé de tous dans la famille » explique Ola-Ifa Michel. Selon les propos de la grande sœur du défunt Basile Abiodoun, Agbékè Bamgboché, elle faisait son commerce au Nigéria quand on lui a annoncé la mort de son jeune frère. Troublée, elle s’est empressée de rentrer au village. Elle eut la chance de rencontrer le Président Mathieu Kérékou au cours d’une de ses visites à la famille. « J’étais là quand le président Kérékou était venu voir la famille. On était fier de voir Kérékou mais nous n’avons plus revu Basile (elle coule des larmes). Ce fut douloureux » confie-t-elle.

42 ans après, ce qu’est devenu ses trois femmes et cinq enfants !

 

Rencontrée dans un pauvre quartier de la commune de Sèmè-Podji, le quartier Kpakpakanmè, sa fille Déborah Bamboché n’évoque pas sans peine la disparition tragique de son géniteur. Fille de la troisième femme de Basile Abiodoun et âgée d’à peine trois ans quand son papa se faisait tuer par les mercenaires, elle reconnaît n’avoir pas eu une enfance facile. Très tôt abandonnée par sa mère comme les autres enfants d’ailleurs, elle sera élevée par son grand-père. « Notre grand-père a fait beaucoup pour nous car en ce moment, il n’y avait aucune des trois femmes pour s’occuper de nous. Donc, à un moment donné, nous avons décidé de renoncer à l’école tant les conditions étaient difficiles. Ma mère est revenue me chercher et j’étais là-bas quand mon grand papa est décédé » a-t-elle déclaré. Si elle a appris le métier de coiffure, elle ne vit pas aujourd’hui de son métier. « Je suis coiffeuse de formation mais en réalité, rien ne va. L’aînée, Mireille, était commerçante mais aujourd’hui, elle a aussi toutes les peines du monde pour subvenir à ses besoins et celle de sa petite famille. La deuxième fille aussi ne fait rien. Le troisième lui, un garçon, n’a appris aucun métier. Resté au Nigéria, il est rentré au pays bredouille. Seul le plus jeune, Yèmi, peut un peu se frotter les mains. Il vend, en effet, des pneus d’occasion à Dégakon à Akpakpa » poursuit-elle. Triste sort alors pour les enfants Olivier, Mireille, Déborah, Yèmi et Temitayor qui auraient pu avoir un meilleur avenir si leur père avait vécu longtemps. «Nous avons essayé d’offrir un avenir à ses enfants malgré notre pauvreté mais pour être honnête, nous n’avons pas pu grand-chose» regrette Agbékè Bamgboché. «C’est la famille qui s’est occupée des enfants quand leur grand-père est décédé et quand les charges pesaient sur nos épaules, nous n’avons pu grande chose » se désole aussi Ola-Ifa Michel. Toutes les démarches menées pour rencontrer la fille aînée de Basile Abiodoun sont malheureusement restées vaines. Des informations glanées, la première femme ne vit plus tandis que la deuxième femme vit à Adja et la troisième femme dans un village de Kétou à la frontière du Nigéria.

Les régimes Soglo, Yayi et Talon à la barre… Reconnaissance au Président Kérékou !

 

« Nous n’avons obtenu aucun appui jusqu’à ce jour. Il a combattu et sacrifié sa vie pour la nation mais la nation l’a oublié et surtout sa famille. Des démarches ont été entreprises mais rien. Même pour la célébration du 16 janvier, la famille n’a jamais été conviée aux manifestations. Seulement avec leurs maigres ressources, ses enfants viennent au village chaque 16 janvier pour organiser des prières en son intention » déplore Olarewadjou Okou,  la sœur de feu Basile Abiodoun. Et à Ola-Ifa Michel de s’apitoyer sur le sort des enfants de celui qui a donné sa vie pour la nation béninoise. « Ses enfants n’ont rien aujourd’hui, ils vivent dans la précarité. Ils n’ont même pas de boulot et difficilement, ils s’en sortent » lance-t-il avant de plaider pour qu’au moins, sa maison soit reconstruite pour honorer sa mémoire. « Si le gouvernement reconnaît que la nation se doit d’être redevable envers celui qui a donné sa vie pour la patrie, qu’il vienne à l’aide à sa famille surtout ses enfants qui, aujourd’hui sont déboussolés », déclare, toute perplexe, Agbékè Bamgboché. Si la famille a reconnu que le Président Mathieu Kérékou rendait visite à la famille et se rendait sur la tombe pour saluer la mémoire du disparu, elle accuse néanmoins les régimes Nicéphore Soglo, Boni Yayi et Patrice Talon de n’avoir pas témoigné la reconnaissance de la nation à la famille du soldat. « Le gouvernement n’a pensé à personne et aucune démarche n’a été menée envers sa famille pour quoi que soit ne serait-ce qu’une simple salutation. Les enfants ont été inscrits à l’école mais les moyens faisant défaut, ils ont dû affronter tôt les réalités de la vie active. Nous sommes vraiment en colère contre le gouvernement mais ne pouvons rien » martèle sa sœur Okou Olarewadjou. Et à la fille Déborah d’être reconnaissante envers le Général Mathieu Kérékou. «…Chaque 16 janvier 1977, Kérékou venait au village et apportait un soutien à la famille. Il venait sur le tombeau et remettait quelque chose à mon grand papa mais après cela tout cela a cessé. Nous avons mené tellement de démarches en vain pour obtenir de l’aide. Nous sommes allés même chez le Président Mathieu Kérékou et à l’entrée, le gardien nous demandait si nous avons pris rendez-vous ? Nous avons répondu par la négation. Il nous a renvoyés simplement. Après les régimes qui ont suivi, plus rien » laisse-t-elle entendre. Mais, elle estime également avoir été informée que des familles des sept soldats tués lors de l’agression, seules deux familles dont celle de Basile Abiodoun ne perçoivent aucun appui. Les cinq autres seraient régulièrement soutenues, selon ce que nous avons appris. Un enfant de soldat tué aurait témoigné à la radio qu’il percevait quelque chose. Difficile de vérifier cette information car toutes les sources vers lesquelles elle nous a orienté n’ont pas voulu aborder la question et estiment n’avoir aucune preuve desdites allégations. La seule évidence est que la famille est délaissée depuis la mort de ce soldat et l’avenir s’assombrit davantage pour ses enfants. « Je demande que le gouvernement vole à notre secours car notre papa n’a pu prendre soin de nous en se sacrifiant pour la nation » plaide Déborah Bamboché, fille du militaire tué par les mercenaires. Vivement que les autorités béninoises se rattrapent et témoignent la reconnaissance de la Nation à cette famille !

 

Aziz BADAROU 

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