Menace de radicalisation dans les espaces frontaliers au Bénin : La défaillance de l’Etat dans ses missions régaliennes

Si c’est une évidence que des risques de la survenue de la radicalisation voire l’extrémisme violent au Bénin sont bien latents notamment dans les espaces frontaliers, certains facteurs expliquent le fait. Entre autres déterminants évoqués, la défaillance de l’Etat dans ses missions régaliennes, selon une étude qualitative exploratoire sur les risques et facteurs potentiels de radicalisation et d’extrémisme violent au Bénin, réalisée par Aziz Mossi dans le cadre du Programme de l’Union européenne de Prévention de l’Extrémisme Violent en Afrique de l’Ouest et dans le Bassin du Lac Tchad (PPREV-UE II). Des déterminants susceptibles de mettre en péril, la cohésion sociale au sein des communautés…

Réalisée dans huit (8) communes des quatre départements de la partie septentrionale du Bénin à savoir les communes de Kandi et Malanville (dans l’Alibori), Matéri, Natitingou et Tanguiéta (dans l’Atacora), Nikki et Parakou (dans le Borgou) et Djougou (dans la Donga), la présente étude conduite par une équipe d’experts nationaux, a permis de produire des données sur des phénomènes d’extrémisme violent et des facteurs qui les sous-tendent ainsi que des éléments empiriques d’aide à la décision proposant des options d’intervention en vue de la formulation de stratégies ou programmes de prévention de l’extrémisme violent (PEV), tant au bénéfice des personnels de la Délégation Européenne en République du Bénin qu’aux autorités publiques concernées. Entre autres facteurs étudiés, la défaillance de l’Etat dans ses missions régaliennes.

La remise en cause de l’Etat et de l’ordre républicain par les citoyens…

 

« La longue absence de l’Etat dans les espaces frontaliers contraste avec le profond ancrage des normes religieuses dans les habitudes et les comportements des citoyens. La régulation des rapports sociaux est essentiellement régie par les normes islamiques dans les sites investigués. Ceci génère une désaffection vis-à-vis de l’Etat qui perd toute sa légitimité dans ses fonctions régaliennes de régulation sociale. Ces frustrations nourries à l’encontre de l’Etat par les populations engendrent le rejet de celui-ci et de ses symboles dans les localités frontalières : refus d’inscrire les enfants à l’école publique au Bénin et préférence donnée aux écoles coraniques ou franco-arabes ; rejet de la monnaie officielle de l’Etat (FCFA) et préférence pour le Naïra ; refus de dédouaner les moyens roulants (motos, véhicules) ou opposition au paiement de toutes taxes douanières au Bénin, etc. Ces attitudes révèlent la faiblesse du sentiment d’appartenance nationale et pose la problématique de la citoyenneté qui reste à construire entièrement dans les espaces frontaliers », révèle Aziz Mossi dans ladite enquête. A l’en croire, certains citoyens béninois des frontières préféreraient être régis par le Nigéria, le Niger ou le Burkina-Faso en fonction de leurs positions géographiques respectives. Les raisons principalement évoquées sont l’absence de l’Etat à travers les infrastructures sociocommunautaires ou l’éloignement de celui-ci, le manque d’emplois, les rackets subis de la part des corps de sécurité publique, le laxisme de l’Etat sur certaines questions préoccupantes des frontières qui engendre la perte des terres, des lieux de cultes. « Les cas d’Illoua (Malanville), de Kourou/Koalou (Matéri), ou de l’Île de Lété (Karimama) sont rappelés dans les entretiens. Ainsi, à défaut d’un investissement de l’Etat Béninois dans le développement local, des Béninois des frontières s’accommodent volontiers de l’action des Etats voisins. Ceci exacerbe les frustrations contre l’Etat au point où certains nourriraient des ambitions d’une autodétermination pour se défendre sans l’Etat », renseigne le rapport de synthèse de l’étude. Dans ces contextes d’Etat faible où les normes religieuses semblent l’emporter sur les règles de la République, la laïcité de l’Etat peut apparaître parfois comme un tremplin pour certains courants religieux pour troubler l’ordre public au sein des communautés.

 

« D’ailleurs cette idée alimente les inquiétudes de certains citoyens quant à la capacité de l’État à exercer une supervision appropriée des groupes religieux. Parfois, le pouvoir public semble vouloir éviter d’irriter les chefs et fidèles religieux, préférant ne pas agir même lorsque la liberté de pratique religieuse va à l’encontre des droits d’autres citoyens. Le facteur religieux est donc un levier sensible sur lequel les autorités hésitent à agir de peur de s’aliéner les fidèles. Toute intervention de l’Etat dans ce domaine peut entraîner des réactions violentes, notamment lorsqu’elle se traduit par l’usage excessif de la force. C’est ainsi que certaines initiatives de l’Etat visant à fédérer autour du principe de laïcité, à travers la définition de règles de conduite, suscitent des tensions. La question du port de signes religieux, notamment dans les écoles publiques laïques à Kandi, Parakou, Djougou ou à Malanville en est une parfaite illustration. Quelques acteurs fustigent et dénoncent le renvoi de jeunes filles portant le voile pendant que certaines tenues considérées comme « indécentes » sont tolérées dans les écoles. C’est aussi le cas de la règle qui prescrit la coupe des cheveux pour les jeunes filles des collèges, jugée par certains fidèles comme contraire aux prescriptions de l’Islam. Pour certains musulmans, une fille qui coupe les cheveux est semblable à un homme et cela est proscrit en Islam », peut-on également lire dans ledit rapport.

 

Selon Aziz Mossi, cette règle perçue comme une discrimination crée un sentiment d’injustice et de frustration susceptible d’être exploité dans des contextes marqués par de fortes capacités d’adhésion et de mobilisations des associations religieuses et de jeunes musulmans. Certains musulmans considèrent que les lois qui régissent l’école n’autorisent pas un chef d’établissement à interdire aux élèves le port de signes religieux. Ces interdits sont vécus comme la manifestation d’une haine et de l’intolérance religieuse et surtout d’une certaine « islamophobie ». Face à la timidité de l’Etat, campé sur le principe de laïcité et s’abstenant d’intervenir dans la régulation des rapports entre le domaine religieux et le domaine public, ces frustrations, si elles persistent, risquent de conduire à l’expression de formes de radicalisation et d’extrémisme. En l’absence d’une définition participative claire et contextualisée des règles vestimentaires dans les établissements publics et d’une orientation précise à l’endroit des chefs d’établissements, il existe un risque que dans ces situations de stigmatisation et d’arbitraire l’on aboutisse à un regain de tensions intercommunautaires entre les musulmans et les fidèles des autres confessions religieuses, les premiers se sentant marginalisés au profit des seconds. Et tout cela peut constituer une source potentielle de radicalisation.

La porosité des frontières et l’insuffisance de moyens de surveillance…

 

« Les efforts de l’Etat sont portés sur les dynamiques de sécurisation des frontières. La Politique nationale de développement des espaces frontaliers (PNDEF) a fixé les ambitions de l’Etat dans la sécurisation et le développement socio-économique des espaces frontaliers. Dans ce cadre, plusieurs postes de police sont créés parmi lesquels figurent neuf (09) Unités Spéciales de Surveillance des Frontières. Au regard du besoin, de la pression exercée par les pays voisins et des menaces potentielles de filiales criminelles opérant dans les pays voisins, le nombre de ces postes reste toutefois insuffisant. Seulement le quart (1/4) des communes frontalières est doté de cette force spéciale. Par contre, le Niger et le Nigeria disposent de camps militaires à proximité des frontières (à moins de 10 km), en plus des autres unités de la police et de la gendarmerie. La plupart des éléments des FDS béninois que nous avons rencontrés ne semblent pas être satisfaits de leurs conditions de travail. Ils se disent être victimes d’une insuffisance de moyens d’action dans leur fonction quotidienne de surveillance des frontières et de sécurisation des biens et des personnes. Par exemple, ils déplorent l’absence de pirogue, pour la police républicaine et pour la douane, permettant d’organiser des patrouilles sur le fleuve Niger ou sur la rivière Pendjari. La marine installée autour du fleuve Niger fait face à l’insuffisance de personnel et d’équipement pour le vaste espace à contrôler. Ceci engendre un faible contrôle des frontières fluviales. Pour le moment les différents éléments des FDS sont principalement positionnés sur les frontières terrestres les plus empruntées par les usagers. Plusieurs voies secondaires et les voies fluviales ne sont pas surveillées », renseigne Aziz Mossi.

L’insuffisance organisationnelle des renseignements

 

Ici, il est déploré un retard organisationnel du dispositif de surveillance et de sécurisation des espaces frontaliers, y compris ceux qui renferment des réserves naturelles ou minières. « On peut évoquer le cas de la réserve de fer de Golo Banda à Madécali (frontière entre le Bénin et le Nigéria). Elle fait objet de tractations et de convoitises de la part du Nigéria avec plusieurs incursions militaires dans la région. La manifestation de l’intérêt de l’Etat béninois pour cet espace est très récente (moins de 10 ans), notamment avec les réalisations de l’ABeGIEF. En effet, grâce à l’ABeGIEF le village d’Illoua (à la frontière avec le Nigéria) a pu bénéficier d’un commissariat de police, d’une unité de gendarmerie, d’une école, d’un centre d’amitié Bénin-Niger-Nigéria et même, exceptionnellement, d’une mosquée au profit des populations. En plus, depuis 2015, un poste autonome de douane est installé à cette frontière » informe l’enseignant-chercheur, auteur de l’enquête. « Avec la réalisation de ces infrastructures, nos populations se sentent béninoises. Parce que par le passé, chaque année en tout cas, on ne fait pas deux mois sans que les forces de sécurité du Nigéria ne viennent menacer nos populations… », confie au chercheur un élu local à Malanville. Toutefois, la situation de faible contrôle sur les espaces fluviaux béninois et sur le développement du trafic fluvial et les enjeux de protection des ressources fluviales et minières est un constat flagrant aux frontières, fait constater Aziz Mossi.

 

« Cette attitude de l’Etat peut être le résultat de l’insuffisance organisationnelle des renseignements. En effet, ceux-ci mettent faiblement l’accent sur les fonctions importantes liées à la préparation et au retour d’informations du terrain sur les perceptions des citoyens sur les décisions publiques. Le faible niveau de capitalisation et d’opérationnalisation des informations issues des renseignements pour promouvoir des actions stratégiques de développement des communautés constitue un handicap dans le maillage des territoires frontaliers par des actions marquant la présence de l’Etat : on observe plus de militarisation que d’offre de services sociaux de base et de création d’emplois. Ceci se traduit par une négligence du rôle du renseignement dans les démarches d’animation du territoire, de responsabilisation de chaque communauté et d’analyse de perception des citoyens sur l’attitude de l’Etat ou sur ces réformes, voire sur des services à divers niveaux. Ainsi, le système de renseignement apparaît comme éloigné des citoyens et de la vie quotidienne des populations. Il souffre d’une insuffisance d’ancrage sociétal et reste attaché aux aspects sécuritaires. Toutefois dans certains cas, il repose sur des relais locaux issus de la communauté. Mais ceux-ci sont facilement identifiables et peu rigoureux sur la confidentialité des informations. Ils sont connus et se positionnent dans certaines communes frontalières comme des agents de police ordinaire avec l’érection de check-points le long des axes routiers », précise le rapport de l’étude.

Aziz BADAROU

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