Bénin/Occupation professionnelle: « Il n’est jamais là, par an je fais l’amour une fois avec mon mari »

Claudine Talon peut s’estimer heureuse. Son époux n’est visiblement pas le plus affairé sous nos cieux. L’occupation professionnelle dans le couple reste un vœu des conjoints. Malheureusement, il n’en demeure pas moins que sa gestion puisse se révéler parfois et bien souvent une ombre au tableau pour le bonheur des partenaires. Les ménages, au lieu de délecter la Grâce, s’en trouve à la pleurer, à l’exécrer. Des couples se meurent, d’autres gigotent. Paradoxe n’est-ce pas ! La problématique de la gestion de l’occupation professionnelle dans les couples se pose avec intérêt. Témoignage émouvant et déchirant ; des analyses et leçons s’y puisent. Pourvues qu’elles servent. Sur 365 jours, elle ne verra désormais plus son époux que cinq fois avec une fréquence coïtale réduite à une fois l’an. C’est dire qu’à certains, l’occupation professionnelle a ravi la joie de la Saint-Valentin…

Matin Libre : Ça fait quoi d’avoir un mari qui n’est jamais là ?

L’interviewée: Tout simplement, ce n’est pas facile. Ce n’est pas du tout facile d’avoir un mari qui est tout le temps absent parce que tu es en même temps, Père, Mère, Oncle, Tante. Surtout que vous n’avez pas les membres de la famille qui sont là, à l’écoute, aux petits soins. Tu es seule.

Avez-vous vu ça venir ?

D’abord, il faut toujours prier pour son homme ou sa femme pour que sa situation, si tel n’est pas le cas, s’améliore. Si j’ai vu ça venir, je dirai que c’est un ménage où il n’y avait pas du tout la communication. Sur ce, je peux dire que je n’ai pas vu ça venir. Ça m’a surpris mais, il faut reconnaître que déjà, au début, c’est quelqu’un qui de par son activité bouge beaucoup. Mais les absences ne duraient que quelques semaines. Et c’est du jour au lendemain, comme il est tout le temps absent et que je m’en suis rapprochée, à force de le déranger sur le fait, qu’il m’a dit : « Je ne suis pas là, prend toi en charge, tes enfants aussi ». La communication ne passait pas. Ça, je reviens là-dessus. L’histoire est longue. Je ne voudrais pas en dire plus. Du coup, tout le travail te revient.  Ma situation, je ne la souhaite pas à une sœur. Même à quelqu’un qui me prend pour ennemie, je ne souhaite pas ça. Ça, ce n’est pas une vie de couple normale.

Le divorce…

La question de divorce est très délicate. En plus de ça, il y a des enfants qui sont là. Vous, vous allez gérer un problème qui ne concerne que vous deux mais les enfants vont en souffrir. Surtout qu’ils sont encore petits. S’ils étaient grands, là, je pourrais aller au divorce. Parce qu’en vérité, j’en ai jusqu’ici (cou Ndlr). L’éducation des enfants, c’est ça qui compte aujourd’hui. Mes parents, s’ils ne m’avaient pas donné cette éducation, je ne serais pas là et mes parents là où ils sont, ils sont en paix. Nous enfants,  sommes bien éduqués et chacun a son pain. Donc, moi-même, j’aspire à cette paix-là. C’est pourquoi, je dois entretenir mes enfants. Sinon, j’aurais déjà quitté parce qu’au fait, je ne vis pas. Je ne suis pas épanouie. Je souffre pour que mes enfants aient une bonne éducation. Leur bonne éducation leur garantira certainement un foyer paisible. Pour que demain, quelle qu’en soit la situation, qu’ils soient aptes à l’affronter. Je peux décider de prendre mes enfants, aller louer et vivre ma vie. Mais tout ça entre en ligne de compte avec l’éducation des enfants. Puisque demain, eux aussi, à la moindre difficulté, ils auront tendance à faire comme moi. La société devient quoi en ce moment-là ? Aussi, il faut reconnaître que c’est mon mari qui m’a déviergée. Pour moi, c’est une fierté ; le fait de n’avoir connu qu’un seul homme. C’est un éloge pour moi. Du coup, je n’ai pas envie que d’autres me connaissent. L’idée me fait même peur puisque je ne sais pas ce que ça va donner.

Justement avec cette absence comment gérez-vous votre sexualité ?

Par an, la moyenne c’est deux fois. Et là aussi, c’est par chance. Sinon, c’est une fois et son séjour quand il rentre, c’est cinq jours. Une semaine tout au plus et je fais l’amour une fois. Par an, je fais l’amour une fois avec mon mari. Nous ne partageons pas la même chambre. Quand il a envie, il me téléphone.

Et s’il vous demandait de le rejoindre ?

Je suis fonctionnaire. Lui, non. Il est indépendant. C’est son travail qui l’a amené en Europe. Pire, là-bas aussi, il n’est pas surplace. S’il arrivait qu’il nous demande de le rejoindre, pour moi, ce serait un risque. Je risque gros. Dans mon ménage, on fait 50/50 sur toutes les charges… C’est à dire que tu es assistée financièrement à 50%. Après, ça, on ne te demande plus rien. Mon cas est particulier. Malgré les réseaux sociaux, nous nous écrivons deux fois par mois. Ailleurs, cette absence est compensée par un accompagnement moral et financier qui met la famille au-dessus du besoin. Mais chez moi, il faut que je me débrouille. Sur ce, je salue mon papa qui m’a donné cette éducation-là. D’abord, je le remercie de m’avoir mise à l’école, de m’avoir éduquée de sorte que, j’ai fini, j’ai eu un job. Si ce n’est pas ce job-là, je me demande ce que je serais devenue. Surtout pour les questions financières. Si j’abandonne tout pour le rejoindre, est-ce qu’il sera prêt à répondre à mes besoins ? Ici, c’est 50/50. Là-bas, ça se passera comment ? Il ne m’inspire plus confiance. Je suis à quelques années de ma retraite. Quand j’aurai fini, avec ma pension, etc, je peux prétendre voyager et là, encore, ce sera par amour pour mes enfants.

Le regard de votre belle-famille et de la vôtre dans cette situation

Dans un ménage, quand la belle-famille ne te soutient pas, tu as de problème. Au début, ce n’était pas ainsi. Puisque mon mari n’avait pas de situation et c’est moi qui l’aidait.  On s’est connu sur les bancs. Ses parents sont en vie mais, il a grandi loin d’eux. Depuis tout petit, il s’est débrouillé. Il n’a pratiquement pas un repère familial, ne sait ce qu’est l’affection d’un père ou d’une mère. Il ne connaît pas les réalités d’un ménage, de la vie de famille. Quand on a fini les études et qu’il a connu son succès et que malgré ça, il ne répondait pas à tous les besoins des membres de sa famille, ils se disent que c’est à cause de moi et des enfants. C’est d’ailleurs le nœud de tous nos problèmes. Ça a fait beaucoup basculer mon foyer. Mais, il faut reconnaître que j’ai un mari aussi pingre. Jusqu’à sa propre mère. Donc pour eux, c’est moi qui me suis accaparée de tout son argent. Du coup, je ne suis plus une bonne femme. Alors que si moi-même, je n’avais pas mon boulot, je me demande ce que je serais devenue. Mais chez nous en Afrique, on cherche à toujours porter le chapeau à la femme.

Et si l’aventure était à refaire ?

Si l’aventure était à refaire, pour le choix d’un tel homme, c’est une croix rouge. Il n’est jamais là. Je lui en veux énormément. Il y a un dicton qui dit, « chaumière où l’on rit vaut mieux que palais où l’on pleure ». Il est certes bon de prier pour l’élévation de son homme mais, j’ai compris qu’aujourd’hui, l’autre aspect, c’est qu’il faut prier aussi pour que cet homme-là ait la crainte de Dieu. Si le mien l’avait, la situation ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui. Et ça, c’est mon conseil à l’endroit de mes enfants. Un homme ou une femme qui a réellement la crainte de Dieu. C’est le socle d’une famille réussie. Le tout ne suffit pas qu’il ou elle soit croyant.

Cette situation a peut-être occasionné des vices en vous…

Ça c’est vrai. Il fut un temps, je buvais. Je ne vais pas le nier. Faut pas se mentir, je suis entrée un peu dans l’alcoolisme pour pourvoir me déstresser. Parce que quand tu rentres, tu réfléchis sans cesse. Ça fait mal. Je prends mon whisky, je bois correctement, je mange, je m’endors. J’ai pris ce chemin-là. L’autre chose, c’est la cuisine. Mais là, c’est plutôt un plus pour moi. Mon amour pour l’art culinaire s’est renforcé. J’ai appris à tout faire. Les mets européens comme africains notamment du Bénin. J’en crée aussi. Au point où je suis souvent sollicitée pour les cérémonies et autres moments festifs. Ça me permet de m’occuper. Dès le bas âge, je n’avais pas d’amies donc ça m’a gardée des mauvaises fréquentations.

A sa place qu’aurait été votre management ?

Moi à sa place, j’allais faire prospérer ma famille. Quoi qu’il arrive, il doit y avoir un temps pour la famille. Le père comme la mère a un mot à dire dans l’éducation des enfants. Cela a manqué à mes enfants. Il n’a pratiquement pas de relation avec ses enfants. Aucune. Je vous dis qu’il n’a pas de temps pour sa famille. Il n’a jamais de temps. Pour dire vrai, je constate que les enfants ne l’aiment pas comme ça devrait. L’aîné entre temps, est allé me voir pour me dire de refaire ma vie. « Tu souffres trop. Papa n’a pas ton temps. On sent que tu n’es pas épanouie », m’a-t-il dit. Je lui faisais comprendre que c’est le prix à payer pour qu’eux, mes enfants, aient une bonne éducation. Oui, il faut réussir, avoir une occupation; mais avoir un œil dans le ménage. Le dehors d’accord mais la maison d’abord. Parce qu’après tout, c’est la famille qui compte.

Pour vous, quelle importance revêt la Saint-Valentin ?

Vous savez, sincèrement, le 14 février ne me dit rien, absolument rien. Je le dis, parce que je n’ai pas vécu l’amour comme il le faut. Merci.

Vous arrive-t-il de penser que votre mari a une autre femme ?

Ça, je ne sais pas et je ne veux même pas savoir. On a fait le mariage civil mais quelle importance ça revêt aujourd’hui ? En plus, le niveau que j’ai atteint aujourd’hui, si c’est le cas, ça ne me dira plus rien. Au contraire, ça va me libérer. C’est vrai, aujourd’hui, j’accepte tout. Mais quand mes enfants vont réussir, au moindre écart de langage seulement de sa part, je vais claquer la porte. Je plais toujours aux hommes. Je peux encore bien soulever les jambes (Rire).

Justement, ça ne vous tente d’avoir au moins un amant ? Vous devez avoir des prétendants avec ce physique et cette allure que vous dégagez

Il faut reconnaître que ces occasions-là ne manquent pas. Mais c’est à la femme de tenir bon. En plus, la rareté des rapports a fait qu’à un moment donné, je suis devenue frigide. Il faut le souligner. L’envie même ne me prend plus. La sensibilité, il n’y en a plus. La situation m’a conduite à une ménopause précoce. Là où je suis, tout le temps, j’ai des bouffées de chaleur dans tout le corps. Même quand il pleut, dans l’harmattan, mon climatiseur est toujours allumé. Je suis en permanence, à la quête de la fraîcheur. Je ne vis pas. J’essaye de survivre pour mes enfants.  Les prétendants ne manquent pas. Parfois, avec des propositions et assurance très tentant mais je reste égale à l’éducation que m’ont donnée mes parents. Parfois, ces prétendants trouvent que je suis orgueilleuse. Mais qu’à cela ne tienne. Aucun homme n’est parfait, aucune femme non plus. C’est l’éducation qui m’aide. Sinon que le dehors, ça attire. Il faut être une femme dure de caractère pour pouvoir supporter. Aussi, rien ne me dit que je ne tomberai pas dans un cas plus compliqué. Par ailleurs, mon mari, il est complet. Il est intelligent, il est beau, il a de l’argent même si je ne sais ce qu’il en fait.

Espoir donc pour un amour de vieillesse ! Et, ce sera votre mot de la fin

Oui, je garde cet espoir. Pourvu que Dieu me prête vie. Ma maman a l’habitude de me dire qu’il y a certains qui ne rient que le soir. Un appel à la persévérance. Je suppose que c’est mon cas. Je suis dans ma 30ème année de ménage, j’ai 50 ans mais, mon mari et moi, on n’arrive toujours pas à s’entendre. Pour lui, je ne suis pas parfaite. Je ne fais jamais rien de bon à ses yeux et pourtant c’est moi qui éduque les enfants. Mais j’ai pris ça à bras le corps me disant que ça ira. Je fais de mon enfer, mon paradis. Quand finalement, étouffée, j’ai dû me confier à mon papa, il ne m’a jamais découragée. Il a l’habitude de me dire que tant que le soleil luit, l’espoir ne meurt jamais. Et voilà que le soleil luit tous les jours. Ça veut dire qu’il y a de l’espoir.

L’œil du Sociologue…

<<En réalité, la préoccupation que vous posez résulte des mutations observées au niveau de la cellule familiale. Aujourd’hui, chaque membre du foyer est préoccupé par la quête de ses revenus ou préoccupé par le boulot. Chaque membre du ménage est tenté de donner plus de poids au pécunier plutôt qu’aux rapports sociaux qui quand même sont indispensables à la stabilité du couple. Qu’on le veuille ou pas, l’instabilité de l’un ou de l’autre des membres du couple ou la faible présence de l’époux dans le foyer  est préjudiciable à la stabilité de ce foyer. Un seul individu qu’il soit femme ou homme, ne peut se prévaloir de jouir quelle que soit sa bonne foi, les rôles sociaux de l’époux et de l’épouse. Conséquence, lorsque vous avez dans un foyer un membre du couple qui est absent, la conséquence est directe sur l’éducation des enfants et sur même la stabilité du foyer. Une telle  situation fragilise les rapports sociaux qui peuvent s’établir entre deux individus ou entre les membres d’une famille. Tout ça contribue à l’effritement du lien social et par conséquent, agit sur la cohésion sociale ; ce qui fait que de plus en plus, nous avons plusieurs familles instables et plusieurs familles dont les parents ont peut-être les ressources financières qu’il faut mais dont les enfants sortent sans identité réelle en ce sens qu’ils n’ont pas eu le temps de recevoir de leurs parents les normes et valeurs qui peuvent leur permettre d’avoir des repères identitaires dans la société pour pouvoir agir en référence à certains idéaux sociaux>>, souligne le Sociologue Florent Tasso.

Cyrience KOUGNANDE

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