Réaction du Chef de l’Etat sur le Code du numérique: La réforme du Code n’est pas pour demain

(Vain combat d’Amnesty International et autres organisations ?)

Objet de polémique depuis son adoption le 13 juin 2017, le Code du numérique est perçu comme un véritable recul en matière de liberté de presse et d’expression. Des organisations dont Amnesty International ont entrepris de nombreuses démarches et initiatives en faveur de la réforme du Code du numérique. Mais au regard de la réaction du Chef de l’Etat, Patrice Talon sur la question ce mercredi, 19 février 2020, il faut avouer que la réforme du Code n’est pas pour demain. En tout cas, pas sous le régime de la Rupture…

Le Président de la République, Patrice Talon est convaincu de l’importance du Code du numérique. Et aucune de ses dispositions y compris celles sur la pénalisation des délits de presse, ne constitue, en aucun cas, un recul des libertés au Bénin, pour lui. Que des journalistes se retrouvent en prison ou que des classements de Reporters sans frontières soient en défaveur du Bénin, le Président Patrice Talon estime qu’il “est important que chacun puisse répondre, les uns autant que les autres, de ce qu’ils font devant la loi“.       Intervenant dans le cadre des 30 ans de la Conférence nationale des forces vives de la nation, le chantre de la Rupture refuse de voir le Code du numérique comme un recul des libertés. « Mais, est-ce qu’un journaliste qui est poursuivi par un autre concitoyen pour atteinte grave à ses intérêts moraux, même matériels et que la justice se prononce sur ce fait là constitue un recul des libertés ? Vous savez, nous demandons à tout le monde de respecter l’intérêt général, de préserver l’intérêt individuel, la liberté d’aller et de venir de chacun, mais est-ce que quand l’agent de police commet des choses reprochables, il ne rend pas compte de cela ? Est-ce que l’instituteur qui a pris un sac de riz dans le stock de la cantine de ses enfants aujourd’hui ne répond pas de ce qu’il fait ? Pourquoi voulez-vous que parce que quelqu’un serait un journaliste, quand il porte préjudice à quelqu’un, que la personne ne porte pas plainte ?…Un journaliste est-il un activiste de la toile ? Parce qu’aujourd’hui nous confondons tout. On confond les activistes de la toile avec les journalistes, c’est devenu aujourd’hui notre réalité. Quelqu’un prend votre image, manipule l’image et vous présente dans une position compromettante, en train de donner la preuve que vous avez une relation extraconjugale, fait vraiment de la manipulation d’image, la diffuse. Cela peut faire exploser votre ménage. Cela peut vous porter des préjudices irréparables. Si vous portez plainte et que la justice sanctionne ce fait là, est-ce un recul de la liberté de presse ? », a déclaré le Chef de l’Etat. Quant à la dépénalisation des délits de presse déjà garantie par le Code de l’information et remise en cause par le Code du numérique, Patrice Talon affirme qu’avec la cohabitation de l’internet, tout est remis en cause et que les condamnations financières ne suffisent plus. «…à travers le monde on a dit : il faut dépénaliser les délits de presse et qu’il n’y ait que des condamnations financières, civiles. Mais aujourd’hui, nous sommes confrontés à la cohabitation de l’internet qui a fait une irruption spectaculaire dans ce domaine, de sorte qu’on ne sait plus exactement qu’est-ce qui relève des médias, qu’est-ce qui relève de la presse professionnelle et qu’est-ce qui relève simplement de l’intox et de l’activisme…Je pense que dire qu’en aucun cas, nul ne devrait répondre pénalement de ses agissements quand bien même cela porterait gravement atteinte, préjudice à quelqu’un, je viens de vous donner un exemple, quelle peut être la réparation financière compatible avec les moyens de celui qui est concerné ? Quand un journaliste commet un tel délit et qu’on le condamne à payer un million d’amende pour réparation, il ne peut pas le payer, qu’est-ce qui va se passer ? On l’a observé. Les gens n’ont rien à faire des condamnations financières. Et ce genre de situation, aujourd’hui, pour moi, je ne peux pas dire que c’est une vérité absolue, il est important que chacun puisse répondre, les uns autant que les autres, de ce qu’ils font devant la loi », a-t-il argué. C’est donc clair que le Président de la République est convaincu que rien n’est à remettre en cause dans le Code du numérique.

Vain combat pour la réforme du Code

A la suite de cette réaction du Chef de l’Etat, il importe de se demander si les organisations et acteurs de la société civile ont encore une raison d’espérer que la lutte pour la réforme du Code aboutisse. La seule évidence est que le combat pourrait être infructueux voire vain notamment sous le régime de la Rupture. Donc même, s’ils finiront pas avoir gain de cause, ce ne sera pas de sitôt. Faut-il le rappeler, dans une récente publication, Amnesty International a révélé qu’au moins 17 journalistes, blogueurs et opposants sont poursuivis sur la base du Code du numérique en moins de deux ans, “en vertu d’une loi en vigueur dont certaines dispositions répressives mettent en péril la liberté d’expression et la liberté des médias au Bénin“. « Certains articles de la loi sur le Code du numérique renforcent le climat de censure et de peur…L’organisation appelle les autorités à réformer la loi n° 2017-20 du 20 avril 2018 portant Code du numérique dont certains des articles criminalisent la publication de fausses informations et les délits de presse en ligne », peut-on lire dans ladite publication. Pour François Patuel, chercheur sur l’Afrique de l’Ouest à Amnesty International, cette loi pourrait être une avancée majeure pour le secteur du numérique mais les nombreuses arrestations et poursuites menées en vertu de certaines de ses dispositions renforcent le climat de censure et de peur qui règne au Bénin depuis les dernières élections législatives notamment. “Les autorités doivent protéger les journalistes, les blogueurs, les activistes et défenseurs des droits humains conformément aux obligations internationales du pays en matière de protection des droits humains“, lance Amnesty à l’endroit des autorités béninoises. Mais pour l’heure, le Code reste intouchable.

 

Aziz BADAROU

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