Mémoire du chaudron: Épisode 8

Cela faisait bientôt trois mois que le siège de campagne de Yayi Boni fonctionnait à plein régime. C’était une villa bourgeoise sise à la jointure des quartiers Jéricho et Bar Tito de Cotonou et appartenant aux héritiers Fèliho. D’une bâtisse presque en décrépitude, la maison fut rapidement transformée en une ruche débordante de vie qui s’animait très tôt le matin pour ne se désemplir que tard le soir. Le duplex offrait suffisamment d’appartements au rez-de-chaussée pour abriter une grande salle multi fonctionnelle qui servait de salle d’accueil, des locaux du secrétariat général, un magasin, un ou deux bureaux vagues, puis une salle pour la cellule de communication. A l’étage auquel on accédait par un escalier central, se trouvait, outre deux salles de réunion, un bureau pour l’administrateur général du siège que nous appelions DC, enfin un vaste bureau lumineux aménagé avec grand soin, c’était le bureau du candidat que nous appelions déjà Président.
Avec Charles, j’occupais, en bas, la salle réservée à la cellule de communication et qui deviendra rapidement un passage obligé pour la quasi totalité des promoteurs de journaux à qui nous offrions quotidiennement une agréable raison de passer nous dire le  » bonjour « . Ceux parmi eux qui étaient d’un calibre supérieur et qui pouvaient nourrir quelque scrupule à se faire voir là, envoyaient se faire prendre le  » bonjour « . Charles m’avait responsabilisé pour ce contact médias et n’y intervenait que très rarement. D’ailleurs, son journal, Le Matinal, n’était jamais pris en compte. Il l’avait voulu ainsi. Cette expression de son engagement me surprenait. Je commençais donc ma journée très tôt au siège, par un survol des livraisons des journaux. Nos  » bonjour  » assidus pacifiaient l’essentiel des contenus. Mais il n’était pas rare de tomber de temps à autres sur une ronce dissimulée en deuxième ou troisième d’Une. Le DP, interpellé, se répendait alors en d’interminables escuses, prétextant toujours une traitrise de la part d’un de ses collaborateurs. Les journaux L’Indépendant et Le Béninois libéré étaient abonnés réguliers dans ce registre. Mais ce n’était pas d’eux que je reçus le coup le plus mémorable de cette période. C’était de Distel Amoussou, alors DP de Panorama, un journal aussi imprévisible dans son rythme de parution que dans son contenu. Puisqu’il nous arrivait de recevoir des coups, nous en donnions aussi régulièrement, et parfois avec une paume plus vigoureuse que celle utilisée pour nous baffer. Et en la matière, Charles devint rapidement une école pour moi.
Ce jour-là, un article paru dans deux ou trois journaux, nous mit particulièrement de mauvaise humeur. Dans ce petit monde de la presse, les informations allaient vite et il n’était généralement pas difficile de connaître le commanditaire ou le marionnettiste caché derrière un pareil acte de guerre. Nous n’eûmes pas un grand mal à porter dare dare nos accusations sur Malik Gomina. Je dois préciser qu’une féroce inimitié dont j’avais du mal à cerner les vraies raisons, l’opposait à Charles. Ce contexte eut rapidement un effet grossissant sur l’article paru dans les journaux et hostile à Yayi, dont Charles tenait responsable Gomina. Oeil pour Oeil, dent pour dent, la réplique devrait être rapide et foudroyante. Un dossier brûlant, concernant Fraternité FM à Parakou, radio dont Malik était le promoteur, nous tomba opportunément dans les mains en début d’après-midi. Charles me chargea de la rédaction du brûlot qui aurait fait immédiatement ajourner le paiement d’une facture d’un montant conséquent à la radio par l’administration. Le plus difficile ne fut pas de rédiger l’article de presse. Encore faudrait-il trouver un journal capable de le publier. Car nous ne sous-estimions pas la densité du réseau d’information que Gomina avait tissé dans la moindre des rédactions. Notre casting retint finalement Distel. C’était le seul capable d’accepter l’offre. Pour avoir passé mes premières années au journal Le Progrès avec lui, je savais de quoi il était capable quand la mise était bonne. Je l’avertis vers 20h que j’avais quelque chose d’intéressant. A sa façon excessive de me remercier, je compris que les temps étaient durs pour lui et qu’il accepterait n’importe quoi. Malgré ses relances persistantes, je laissai passer minuit pour me pointer devant sa rédaction à Zogbo. Il ne me donna pas l’air de s’intéresser au contenue du texte que je lui remis. Son centre d’intérêt était ailleurs. Je lui promis le « bonjour » dès la parution de mon texte, puis pris congé de lui. Il fut le premier à me téléphoner au petit matin. Il voulait me remettre un exemplaire de sa parution pour, bien entendu, être réglé. Il me mit une telle pression qu’à peine rentré dans la ville de Cotonou, je dû le rencontrer sur l’esplanade du stade pour solder mes comptes avec lui. Malgré l’heure matinale, d’épaisses volutes de fumée voilaient de temps en temps son visage. Il me tendit le journal puis je lui serrai d’une certaine façon la main, avant de foncer vers Bar Tito. A mon arrivée, Charles n’y était pas encore. Il avait dû trainer tard dans le bureau avec un de ses marabouts qu’il y faisait nuitamment venir pour des séances de blindage et de conjuration de sort. Les rondelles d’oignon que j’y retrouvais quelques fois les matins, en étaient souvent de tangibles indicateurs.
Je lui téléphonai donc avec satisfaction pour lui faire le point du coup avec Distel. Il m’en félicita puis me demanda de bien lui conserver l’exemplaire. Mais vers 13h, alors que je déjeunais à quelques encablures du siège de campagne, mon téléphone sonna. Charles, à l’autre bout, me destabilisa en me demandant si j’étais sûr de mon affaire avec Distel. Bien sûr que oui, lui répondis-je. J’ai encore l’exemplaire du journal ici sur moi. Sans plus rien ajouter, il raccrocha. Je compris plus tard que cet exemplaire de Panorama que j’exhibais comme un sabre de samouraï, était le seul en circulation… ! Distel avait revendu toute sa parution à Gomina qui la transforma en fumée et cendre, juste avant de se pointer à ma rencontre avec le seul exemplaire qu’il sauva des flammes pour néanmoins se faire payer à nouveau. Comme un idiot, je m’étais fait avoir…
Ainsi allait la vie à Bar Tito ; trépidante, vertigineuse, avec sur les soufflets du forgeron, un Patrice Talon si lointain, si invisible, mais si proche à la fois. Je remarquais bien de temps cette Mercedes sombre qui remontait lentement le long garage du bâtiment. Puis ensuite il m’était impossible de reconnaître dans les nombreuses silhouettes qui se mélangeaient dans le bâtiment, la sienne. On m’avait pourtant déja dit une fois, que Patrice Talon, c’était celui que je venais de croiser dans les escaliers et que je prenais pour un responsable d’étudiants. J’avais décidément du mal à l’identifier.
Un jour, on m’annonça une séance de travail à la cellule de communication, à laquelle devrait prendre part Patrice Talon en personne. L’occasion que j’attendais. Sur ce nom, j’allais enfin pouvoir définitivement mettre un visage… et un contenu !

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