Opinion du Dr Rock Elie Adjovi: La conduite du processus de la Rupture

Depuis son arrivée au pouvoir, en 2016, le chef de l’Etat, son excellence le président Patrice TALON a mis en œuvre son PAG (Programme d’Actions du Gouvernement), conçu suivant son ambition d’engager des réformes profondes et révolutionnaires en rupture radicalement avec les modèles de gouvernance connus jusque-là en République du Bénin pour, selon « Bénin Révélé », impulser une nouvelle dynamique économique et engager la transformation structurelle de l’économie nationale. L’implémentation de cette ambition a suscité naturellement, comme on devrait s’y attendre, une vive opposition, une résistance ardue, tant le degré du virage était abrupte : les vieilles habitudes construites sur des décennies ont été bousculées, des avantages forgés certainement après de long et douloureux parcours, parfois sur presque toute une vie, ont étés remises en cause. Alors les réactions, les ressentiments fusent de toutes parts pour dénoncer cette remise en cause radicale de l’ordre ancien.
Ces réactions sont perçues par la classe gouvernante comme des comportements subversifs artificiels, des subterfuges savamment orchestrés par les nostalgiques du passé, sans tenir compte des mécanismes sociologiques rationnels sous jacents qui les soutiennent.

Au-delà de toute considération politique ou politicienne, je voudrais ici faire une analyse, technique au regard des postulats de base en matière de sociologie et de management des organisations

Pourquoi s’étonne-t-on qu’il y ait résistance à la rupture, au changement ?
En réalité, il est connu de tout temps que tout processus de mutation dans toute société (organisation), appelle absolument une résistance, car tout changement est angoissant et remet en cause des équilibres précaires qui pendant un moment ont servi de support (‘’béquilles’’)  à un système enraciné dans un ordre ancien.

Selon Raphaëlle GRANGER (2020), pour espérer la réussite durable de tout projet de changement, le rôle du manager sera ainsi d’entendre, comprendre, et dissiper les résistances le plus justement et rapidement possible.

En effet comme l’expliquent si bien les psychanalystes Manfred kets et Dany Miller (1985) la résistance à tout changement consiste en la mobilisation des mécanismes de défense extrêmement classiques que nous utilisons tous les jours pour juguler nos angoisses. Ainsi elle peut consister par exemple, pour le sujet, à nier la réalité (la rupture) ou à l’exclure de sa conscience. Elle peut également résider dans le fait d’attribuer aux autres , la cause des ressentiments qui résultent de la nouvelle situation.

En somme ce qui est à redouter dans tout processus de rupture n’est donc pas la résistance mais plutôt le blocage du processus lorsqu’il n’est pas bien peaufiné. De fait, le blocage peut bien se produire lorsque ceux qui doivent subir le processus, ne sont pas amenés progressivement et avec tact à intégrer le système. Ils sont alors incapables de redéfinir la situation et peuvent s’accrocher au passé en ayant recours à des manœuvres défensives. Ils commencent alors par dénier le problème et on assiste au rejet pur et simple du mécanisme. Tout changement entraînant la perte d’un environnement familier, d’un système, des relations, des liens affectifs, des positions qui ont couté beaucoup de sacrifices et qui se sont enracinées dans le temps. Aussi me semble-t-il- il, plus une posture a vieilli, moins elle est malléable.
Un système n’existe que par les acteurs qui peuvent le porter et lui donner vie et eux seules peuvent le changer. Pour qu’il soit durable, l’action collective doit être un construit social. Le changement en tant que processus d’apprentissage collectif doit être à mon sens conduit avec précautions.
Pour la bonne conduite du processus, nécessaire, de la rupture qui est en cours actuellement au Bénin, nous pensons qu’il faudrait eu égard à tout ce qui précède, manœuvrer sur les leviers ci-après :

il faut pouvoir d’abord reconnaître la souffrance de ceux qui doivent subir, la rupture, le gémissement que cette souffrance occasionne et leur permettre de l’exprimer, de l’extérioriser.

En fait le processus de changement doit pouvoir aider à faire le « deuil du passé » car nier l’existence de la souffrance qu’occasionne le changement pourrait exacerber et entraîner des réactions d’hostilité et pourrait aboutir au refoulement qui constituerait une bombe à retardement prêt à exploser à tout moment. Il faut donc pouvoir parler, communiquer avec les sujets et les laisser s’exprimer. C’est à mon sens la manière dont le processus de changement dans toute organisation doit être conduit :
-accepté que les sujets puissent souffrir pour ce changement,
-laisser les sujets extérioriser leur souffrance,
-laisser les sujets exprimer leurs oppositions mêmes les plus acerbes pour la vider de sa substance amère.
Le processus de changement doit être géré de manière à être perçu comme une sorte de persévérance.

La rupture ne doit pas aussi être vécue comme imposée par une personne en situation d’autorité mais au contraire comme découlant d’une nécessité vitale et impérieuse.

Le changement doit être conduit et présenté comme nécessaire pour la survie à long terme des intéressés eux-mêmes, ce qui leur permettra d’intégrer cette réalité comme capitale, d’y adhérer et ainsi de participer à la mise en œuvre au niveau opérationnel de cette révolution que nous souhaitons de tous nos vœux .
Notons qu’il ne peut y avoir d’auto changement. Le leader charismatique éclairé est indispensable pour impulser et réussir toute mutation dans une société humaine. Nous avons la chance d’avoir pour une fois un leader déterminé, il faut maintenant que nous l’accompagnons.

« Lorsqu’un grand changement s’opère dans la condition humaine, il amène par degrés un changement correspondant dans les conceptions humaines. » Hippolyte Taine (1865), Philosophie de l’art.
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Docteur Roch Elie ADJOVI, Enseignant-chercheur, Expert, spécialiste en management et communication des organisations. Ik.consulting 97684125 / 60376213

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