Bénin: Batamoussi, quoi de neuf ?

On ne le présente plus. Le Magistrat béninois Essowe Batamoussi. Depuis le lundi pascal, il fait l’actualité nationale et internationale. En effet, tout est parti, la veille, d’une alerte sur la toile qui a maintenu les Béninois dans un suspense. Et, effectivement ce Juge siégeant à la Commission des libertés et de la détention près la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet) se confia, depuis
son lieu d’exil, à Radio France Internationale (Rfi). Qu’il s’agisse d’ << une désertion d’un Magistrat >> plutôt qu’une démission, comme l’a souligné le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement ; qu’il s’agisse d’un acte << lâche >> tel que qualifié par le même Alain Orounla ou qu’il s’agisse d’un Juge que son ministre de tutelle ne << connait pas >> ou n’a << jamais rencontré >> même si c’est le même Séverin Quenum qui a signé ses décrets de nomination, le plus important, c’est ce qu’a révélé M. Batamoussi sur Rfi puis France 24. << Le juge que je suis n’est pas indépendant comme cela se devait d’être. Toutes les décisions que nous avons été emmenés à prendre l’ont été sur pression. Je citerai la dernière. Celle qui a vu le placement de dame Reckya Madougou en détention. Dans ce dossier, nous avons été donc sollicités par la chancellerie, car le dossier ne comportait aucun élément qui pouvait nous décider à la mettre en détention. Ce n’était pas la première fois. Il y a eu pas mal de dossiers ou nous avons reçu les instructions de la chancellerie >>. À ces révélations du Juge sur la juridiction spéciale créée par le
Pouvoir de Patrice Talon, la réaction du Garde des Sceaux Séverin Quenum n’a pas tardé : << La déclaration du Juge est une déclaration orientée, suscitée. Il n’y a pas d’instruction donnée. On n’en avait pas besoin. Les juges sont indépendants et ne sont soumis qu’à l’autorité de la loi >>, répond-il par le même canal. Et comme si cette réplique des autorités béninoises n’a pas suffi, d’autres << laboratoires >> au service du gouvernement en ont produit et ventilé à foison sur les réseaux sociaux. Des vertes et des pas mûres, Essowe Batamoussi en a eu pour sa dose. Certainement comme lui-même devrait s’y attendre puisque depuis 2016, c’est le modus operandi. La fatwa a donc été lancée contre le Juge démissionnaire, que dis-je, le Juge << déserteur >>.

Mais à prendre du recul, le Juge Batamoussi a apporté quoi de neuf à ce qui se dit et se vit dans la maison Justice, plus est à la Criet, sous la Rupture ? N’est-ce pas pourtant sous le même système judiciaire auquel << il n’y a pas d’instruction donnée >> et sous lequel << les juges sont indépendants et ne sont soumis qu’à l’autorité de la loi >>, que deux citoyens sur lesquels pèsent des mandats d’arrêt, sont rentrés et circulent librement sans avoir été graciés ? Pourquoi depuis leur retour au bercail, il y a quelques semaines, Pascal Tawes et Bertin Koovi, ne sont-ils pas arrêtés alors que les poursuites judiciaires contre eux n’ont pas été annulées officiellement ? Bien au contraire, sans s’en préoccuper, le chef de l’État les reçoit, l’un après l’autre, au Palais de la République et à domicile.

A vrai dire, Essowe Batamoussi n’a fait qu’apporter de l’eau au moulin de ceux qui tiraient déjà la sonnette d’alarme sur le grand risque de vassalisation de la justice à cause de prétextes de réformes engagées dans le secteur. C’est le cas par exemple du syndicat des Magistrats du Bénin (Unamab) qui, dans un communiqué en date du 10 janvier 2018, dénonçait l’invasion du Conseil Supérieur de la Magistrature par des halogènes. << Cette odieuse invasion, dont la finalité est d’asseoir l’hégémonie du politique sur le pouvoir judiciaire aux fins de représailles et de règlement de comptes, contraste avec les recommandations du système des Nations Unies et l’organisation Internationale de la Francophonie qui demandent aux États membres d’adopter des instances de gestion de la carrière des magistrats débarrassées de toute incursion politique >>, relevait le Bureau exécutif de l’Union.

Dans un contexte où en dépit des dénonciations, plusieurs membres du gouvernement et représentants d’autres institutions de la République continuent d’envahir le Csm, peut-on donner un blancseing au Pouvoir de Patrice Talon et ses affidés dans ce feuilleton qui se tourne avec le Juge Batamoussi ?

Worou BORO

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