Dépistage Covid-19 au Bénin: Plus de 100 millions FCFA pour des tests non homologués

Le Bénin, dans le cadre du dépistage des cas de malades de Covid-19, a opté pour les Tests de diagnostic rapide (TDR) et la PCR (« polymerase chain reaction »). Et ceci, malgré les alertes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur la fiabilité et l’efficacité des TDR. Lesdits tests étant finalement déclarés non homologués, les autorités sanitaires béninoises ont été confrontées à la réalité du retrait des TDR encore appelés tests antigéniques. Des dizaines de millions de franc CFA ont pourtant été investies pour l’acquisition de ces tests non homologués.

Coup de tonnerre ce 19 mai 2020 au Bénin. De 339 cas confirmés de Covid-19 (SARS-CoV-2), le Bénin est passé à 130 cas confirmés soit 209 cas positifs non reconnus par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Il s’agit des sujets dépistés avec les Tests de diagnostic rapide (TDR), des tests jugés non homologués par l’OMS.

Une information rendue publique à travers une déclaration conjointe du ministre de la santé, Benjamin Hounkpatin et du Représentant-résident de l’Oms, Dr Mamoudou Harouna DJINGAREY le 19 mai 2020. Les cas diagnostiqués “positifs“ sur la base des TDR ne sont donc pas reconnus comme étant porteurs du virus par l’OMS. Comment comprendre alors la décision de l’OMS ?

Le Test de diagnostic rapide consiste à rechercher dans le sang, des anticorps attestant d’un contact avec le virus avec un résultat obtenu au bout de 10 à 15 minutes. Contrairement à la « PCR » (polymerase chain reaction), test recommandé et homologué par l’OMS qui consiste à la recherche du matériel génétique c’est-à-dire de l’ARN du virus sur un prélèvement naso et/ou oropharyngé (gorge, nez, nasopharynx). Ici, le délai de manipulation pour l’obtention du résultat varie entre 3 et 6 heures pour les tests réalisés au Bénin.

Le Bénin a fait l’option des Tests de diagnostic rapide et de la PCR depuis le début de la pandémie.

L’Organisation mondiale de la santé n’a pas manqué d’alerter tous les pays quant à la nécessité de faire preuve de prudence dans l’acquisition des Tests de diagnostic rapide, tout en recommandant la PCR comme test de dépistage (Lignes directrices provisoires du 17 janvier 2020).

Docteur en pharmacie et ancien consultant national chargé de programme Médicaments Essentiels et Politique pharmaceutique à la Représentation de l’OMS au Bénin, Dr Louis Koukpemedji, explique que les TDR ne permettent pas de détecter directement le virus SARS-CoV-2 (severe acute respiratory syndrome coronavirus 2) mais plutôt les anticorps anti-Covid-19 libérés par l’organisme suite à une réaction immunitaire contre le corps étranger.

En clair, ces tests peuvent révéler qu’un individu ou un sujet a été en contact avec le virus mais ne peuvent préciser si le sujet est toujours porteur de la maladie ou pas. Des clarifications confirmées par un rapport d’évaluation de la Haute autorité française à la santé (HAS), publié le 14 mai 2020.

Ledit rapport précise également que les TDR ne permettent pas de faire un diagnostic précoce de l’infection puisque la production d’anticorps spécifiques par le système immunitaire prend un certain temps qui peut varier de quelques jours à quelques semaines. Ce qui veut dire que le TDR peut aussi se révéler négatif bien que le sujet soit porteur de virus car ne détectant que des anticorps spécifiques anti-Covid-19.

Des orientations techniques publiées le 11 septembre 2020 par l’OMS, il ressort que la probabilité que les TDR de détection d’antigènes fournissent de faux résultats négatifs est plus élevée lorsque les sujets sont dépistés 5 à 7 jours après l’apparition des symptômes. Il n’est donc pas exclu qu’un sujet négatif soit soumis à un traitement curatif.

Ce que confirme d’ailleurs Dr Al Fattah Onifadé du Bureau de l’OMS au Bénin qui fait savoir que les TDR révèlent beaucoup de “faux cas positifs“. Cependant, il admet que les données ont assez évolué depuis décembre 2020 avec des tests antigéniques désormais homologués par l’OMS et qui produisent de “bons résultats“.

Selon Dr Babacar Fall, responsable à la communication de l’Organisation ouest-africaine de la santé (OOAS), l’OMS a homologué deux TDR qui sont mis sur le marché par l’Institut Louis Pasteur de Dakar au Sénégal.

Dans le dernier catalogue mondial des fournitures d’urgences (Covid-19) rendu public par l’Organisation mondiale de la santé à la date du 15 janvier 2021, un test de diagnostic rapide s’y retrouve. Il s’agit du DIARDT0001. Un test antigénique qui, selon Dr Onifadé, ne saurait remplacer la PCR, qui demeure le test recommandé par l’OMS.

Cependant, il est difficile d’attester si le TDR que continue d’utiliser le Bénin pour le dépistage est bien le DIARDT0001. Toutes les démarches menées pour avoir des clarifications des autorités sanitaires sont demeurées vaines. Toutefois, il faut préciser que depuis le 13 août 2020, seuls les cas dépistés à la PCR sont comptabilisés sur le site officiel du gouvernement, dédié à la gestion de la crise sanitaire.

A la date du 19 mai 2020 (date de la réaction de l’OMS), le nombre de TDR réalisé est passé de 13 170 à 36 276 à la date du 13 août 2020, selon les statistiques officielles.

Si selon le point focal communication du ministère de la santé, les TDR sont toujours utilisés pour le dépistage, ils ne sont plus comptabilisés sur le site officiel. D’ailleurs, lors de la conférence de presse conjointe avec le Représentant résident de l’OMS, le ministre de la santé, Benjamin Hounkpatin avait déclaré qu’au “regard des résultats obtenus avec l’utilisation des tests de diagnostic rapide, le Bénin continue d’assurer la surveillance sérologique de sa population surtout au niveau des groupes cibles avec ces tests“.

TDR au Bénin : De l’usage à la polémique

Quelles sont les raisons ayant motivé l’option des TDR au Bénin malgré les orientations de l’OMS ? Le ministère de la santé et celui de l’économie et des finances ainsi que la Personne responsable des marchés publics (Prmp) du ministère de la santé, saisis par courrier (en date du 7 janvier 2021), n’ont toujours pas répondu.

Rencontré le 22 janvier 2021, le point focal communication du ministère de la santé Hospice Alladaye a estimé ne pouvoir répondre à la préoccupation préférant attendre une réaction du ministre de la santé au courrier qui lui a été adressé.

Le Directeur du Laboratoire Covid-19, Dr Yadouleton Ange, a refusé de se prononcer sur le sujet préférant renvoyer à sa hiérarchie. Quant au Directeur des hôpitaux, Dr Dossou Ange, il nous a donné plusieurs rendez-vous qu’il n’a pu honorer, faute de « disponibilité », selon ses propos.

Cette opacité et ce manque de transparence dans la gestion des tests suscitent des questions sur la volonté du gouvernement d’informer les citoyens sur une question de santé qui touche le pays entier. Ceci au moment où le Bénin fait face à la polémique de faux résultats.

Dans un enregistrement audio relayé en mars 2020 sur les réseaux sociaux, des Béninois rapatriés du Koweït ont estimé qu’aucun cas positif ne peut être détecté dans leur rang, étant donné que tous les tests subis au Koweït sont négatifs.

« Nous avons entendu un élément audio d’une gravité extrême qui faisait état de ce que les tests sont des tests qui sont faux avec des résultats faux. Nous avons échangé avec nos compatriotes qui ont déploré cet état de fait et qui ont compris que des tests réalisés au Bénin sont des tests de qualité puisqu’ils ont constaté les résultats des Tests de diagnostic rapide (TDR)…», a répliqué le ministre de la santé.

Des dizaines de millions injectées…

Le débat sur la validité des tests n’est qu’un aspect de la question qui en entraîne d’autres : le coût et la transparence du mode d’acquisition. Pourquoi ces tests non homologués à la place des autres ? Ici également, le gouvernement reste muet sur la question.

Toutes les démarches menées pour savoir les coûts et le mode d’acquisition en direction du ministre de la santé et du ministre des finances ainsi que la Personne responsable des marchés publics du ministère de la santé sont demeurées infructueuses.

Des organisations de la société civile intervenant dans la transparence des marchés publics et de la bonne gouvernance contactées dont le réseau Social Watch ainsi que des organisations syndicales du secteur de la santé affirment ne disposer d’informations sur ces aspects de la gestion de la crise sanitaire.

Membre du Conseil de régulation des marchés publics et acteur de la société civile, Fatoumata Batoko Zossou indique ne détenir aucune information, le Conseil n’ayant pas été saisi sur lesdits marchés passés pour l’acquisition des tests Covid-19. Même son de cloche avec Jean-Baptiste Elias, président du Front national des organisations contre la corruption (Fonac). Quant à l’ancien responsable du magasin tampon COVID 19, le syndicaliste Adolphe Houssoun, il a refusé de se prononcer.

Pour avoir une idée du coût desdits tests, deux laboratoires chinois mettant sur le marché les TDR dont le Laboratoire Beijing Diagreat Biotechnologies (Lydia Zheng, Manager des ventes internationales) ont été également contactés. Ils n’ont pas répondu.

Aucun élément ne nous permet  à ce stade d’établir que les laboratoires contactés sont des fournisseurs du gouvernement béninois.

Selon l’Organisation Ouest-africaine de la santé (OOAS), le coût d’acquisition des TDR varie entre 5 et 10 dollars, selon le fournisseur ou laboratoire tandis que la PCR est accessible entre 20 et 30 dollars. Par ailleurs, des coûts supplémentaires tels que le coût de la logistique, des ressources humaines et d’autres consommables de laboratoire sont appliqués par les pays, indique la direction de l’Organisation.

Des informations confirmées par Dr Onifadé Al Fattah de la Représentation de l’OMS au Bénin. Selon ce dernier, le prix d’usine d’un TDR est estimé à environ 5 dollars avec l’écouvillon. Selon ce dernier, le coût de la PCR est estimé à 12,7 dollars environ.

Si les données officielles révèlent un nombre de 36 276 TDR réalisés à ce jour et si l’on se réfère au coût minimal d’acquisition de TDR (prix d’usine= 5 dollars), les 36 276 TDR réalisés auraient alors coûté au moins 181 380 dollars soit 97 945 200,00 Franc CFA.

Par ailleurs, lorsqu’on considère 10 dollars comme prix d’usine d’un TDR, les 36 276 TDR réalisés auraient coûté 362 760 dollars soit 195 890 400 FCFA.

Près de 100 millions de FCFA au minimum investis dans l’acquisition des tests non homologués, par le gouvernement béninois (195 890 400 FCFA au maximum).

Ceci, sans tenir compte des coûts supplémentaires appliqués à l’achat des TDR notamment le coût du transport, de la logistique, des ressources humaines et d’autres consommables.

Selon les différents recoupements faits, plusieurs partenaires du Bénin ont fait don de kits de dépistage PCR. La direction de l’OOAS indique avoir distribué plus de 350.000 kits de diagnostic (tests PCR, kits d’extraction et VTM) à tous les pays membres de la Cedeao dont 18 792 tests PCR offerts au Bénin et 1000 TDR homologués provenant de l’Institut Louis Pasteur de Dakar.

Pourquoi alors le gouvernement béninois a-t-il fait l’option d’acheter lesdits tests, qui selon certaines sources, n’auraient servi à rien ? Difficile d’y répondre malgré les nombreuses démarches entreprises auprès des autorités compétentes.

Aziz BADAROU

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