Griefs de clients contre les banques: Comment réconcilier les-uns et les autres pour un partenariat gagnant-gagnant ?

Pour les besoins d’un master spécialisé du 2IE sur le thème de la faiblesse du taux de bancarisation au Bénin en 2011, nous avons cherché à savoir ce qui explique que le taux de bancarisation qui exprime la proportion de la population qui a un compte actif en banque dans les pays de l’Afrique subsaharienne tournaient autour de 10% contre 89% dans les pays européens. Le Gouverneur de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest de l’époque avait émis le souhait de le voir atteindre 20% en 2015. La Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest a signalé que le taux de bancarisation dans la sous-région de l’UEMOA est inférieur à 10% en 2010. Celui du Bénin est de 9,65% en 2009 (https://www.bpt2020.afrikblog.com.taux de bancarisation dans l’UEMOA (2009)). C’est en 2020 qu’il a atteint 24.8% (https://www.agenceecofin.com/economie/1111-82304-uemoa-le-taux-dinclusion-financiere-a-encore-progresse-en-2019-la-cote-d-ivoire-desormais-en-tete-bceao). Il y a forcément matière à réflexion et nécessité de changer de paradigmes. Il faut noter que nous traitons ici strictement du taux de bancarisation. Pas celui élargi aux institutions de micro finance qui est actuellement de 77,8% (https://www.bceao.int/sites/default/files/202011/Rapport%20annuel%20situation%20inclusion%20financie%CC%80re%20UEMOA%20-%202019.pdf).

Les causes de la réticence des clients à déposer leur argent en banque, voire à fermer leurs comptes, sont de plusieurs ordres. La plupart viennent des rapports entretenus par les banques avec ces derniers, mais certaines sont liées au manque d’informations des clients. Les actions doivent donc être menées des deux côtés après identification des problèmes.

Dans cet exposé, nous allons présenter les principaux griefs parmi les plus régulièrement évoqués par les clients. Nous présenterons la justification que les banques apportent et ferons des recommandations idoines, aussi bien aux banques qu’aux acteurs économiques, espérant que cet éclairage améliorera de façon significative la prestation des banques et la compréhension des clients actuels et futurs pour une relation moins conflictuelle et profitable à tous.

En d’autres termes, à la démarche du présent travail est d’aller plus loin que la recherche de la satisfaction globale classique que recherchent les banques, mais d’identifier les principaux griefs spécifiques que portent les acteurs économiques à leur encontre, de creuser ces points d’insatisfaction, de déterminer la part de responsabilité de chacun (banques et clients), pour emmener à dégager les approches de solutions à la question du mécontentement des clients des banques et de leur résignation face à leur impuissance vis-à-vis de celles-ci.

Méthode de collecte des griefs

Avant tout propos, il importe de décliner la méthode de collecte des données qui s’est imposée, vu le caractère sensible du sujet.

La collecte des griefs émis par les acteurs économiques vis-à-vis des banques ne pouvait pas suivre la démarche classique d’une collecte ordinaire académique pour la simple raison que les informations à la relation bancaire sont sensibles et ne s’obtiennent pas aisément. Mais quand vous demandez si les opérateurs sont satisfaits de leurs banques, alors ils saisissent l’occasion pour se vider de frustrations longtemps gardées.

Les principaux griefs ont été collectés au moyen d’un questionnaire dans lequel il a été demandé aux enquêtés de décrire des déconvenues qu’ils ont eues avec les banques. Nous avons retenu les plus récurrentes.

La première collecte a eu lieu en 2011 et la deuxième qui vient corroborer la première a eu lieu en 2021.

Outre le questionnaire, nous avons procédé à la collecte des interviews et échanges de discussions fortuites sur les forums ayant porté sur une plainte d’acteurs économiques ordinaires vis-à-vis des banques et qui ont été suivies de commentaires.

Principaux griefs des utilisateurs de services bancaires

Que reprochent les clients aux banques, et qui justifie leur extrême méfiance vis-à-vis de ces dernières, voire la fermeture de leurs comptes dans ces banques ?

1-         Aux premiers rangs des griefs figure le manque d’incompréhension des prélèvements sur leurs comptes. Les clients gardent en tête que, même si vous ne faites aucune opération, l’argent que vous laissez sur le compte finit par s’évaporer, au point que vous devenez débiteur vis-à-vis de la banque. Il y a les agios en fin de mois, mais il arrive aussi qu’il y ait d’autres prélèvements incompréhensibles. La relation commerciale dans laquelle l’une des parties n’a pas la maîtrise de ce qu’elle lui coûte et qui plus est, sait que son partenaire a le pouvoir de se servir sur son compte, est une relation qui ne rassure pas.

2-         L’accueil dans les agences bancaires.

La plupart des personnes interrogées ont le sentiment de ne pas être considérées par les agents d’accueil des banques. Elles parlent parfois même de mépris de la part d’agents guindés condescendants. Un ancien cadre de banque m’a récemment rapporté une anecdote. Il s’est présenté au guichet d’une agence de banque dans laquelle il avait travaillé à l’ouverture de cette dernière pendant une bonne dizaine d’années. Il était venu alimenter son compte d’épargne qu’il avait laissé dormant depuis une bonne quinzaine d’années et qu’il venait de réactiver. A son arrivée, il a été orienté vers une caisse, mais la caissière lui intima l’ordre d’aller vers une autre caisse. Il s’étonna alors du ton et de la contradiction et resta hébété à la regarder. Et la jeune caissière de marmonner à haute voix : « Il n’a qu’à rester là. Il va poireauter s’il ne fait pas le rang à l’autre caisse. » C’est une caissière d’à peine 25 à 30 ans qui parle à un client de 60 ans. La scène se passe en septembre 2021 à Abomey Calavi.

Plusieurs clients visés par l’enquête estiment que « les ‘banquiers’ vous parlent de haut. » Bien entendu que certaines banques sont plus citées que d’autres en la matière, et c’est là l’intérêt pour les banques de connaître le ressenti des clients par rapport à leurs services, de commanditer une enquête de satisfaction plus élaborée que les bouts de papier à 4 figurines ou à trois questions qu’elles font cocher, et qui ne donnent aucun détail pertinent sur les points décriés par la clientèle.

3-         Les banques chronophages ;

L’idée qu’une opération à la banque pourrait vous coûter une matinée entière, voire une journée carrément, est une hantise majeure pour la quasi-totalité des acteurs économiques questionnés. Ce grief qui est à la base en bonne partie de la faiblesse du taux de bancarisation, mérite d’être analysé car, il ne manque pas de solution. Les clients des banques devraient avoir une explication des mécanismes à la base de ces longues attentes afin de mieux s’organiser. C’est le préalable pour leur faire accepter la pilule. Ensuite, la recherche de stratégies pour réduire ces attentes est du ressort des banques. Puisque certaines sont moins concernées que d’autres, il est donc possible et nécessaire de s’inspirer de ce qui marche mieux chez les confrères.

Un autre exemple courant est celui de la certification des chèques qui est demandée par l’Administration publique pour l’établissement de diverses formalités. En effet, pour une certification de chèque introduite à 8 heures le matin, on vous demande dans certaines banques systématiquement de déposer le chèque à certifier et de revenir l’après-midi à 16 heures. Quand vous partez à 16h, ce n’est pas automatique. Pour une simple certification de chèque, alors que vous avez la provision sur votre compte, vous pouvez payer des surestaries parce que vous avez perdu une journée. Vous partez pour l’encaissement d’un chèque, vous en avez pour quelques minutes quand il n’y a pas de monde, mais à partir d’un certain montant, il est préférable de revenir quelques heures après.

La justification donnée, le circuit de validation que fait le chèque, la confirmation qu’il faut obtenir de l’émetteur et tout le reste.

4-         Les clients sont étonnés du fait qu’en dépit de la disponibilité sur leur compte et malgré les conditions de transfert réunies, l’opération traîne au point de faire perdre souvent des opportunités. Ce jour lundi 20 septembre 2021, un client qui a déposé un chèque d’une banque A à sa banque B le mardi 14 septembre s’est vu retourné parce que l’argent n’est pas disponible sur son compte, sans autre explication. Toute vérification faite, le compte de l’émetteur du chèque est débité depuis le mercredi 15 septembre 2021. Sur ce cas par exemple, nous ne pourrons pas donner une explication convaincante. En théorie, il est dit que les chèques délivrés par le client d’une banque pour un client d’une autre banque passent par la compensation et que ça devrait durer soixante-douze (72) heures. ;

5-         L’inadéquation entre l’expression des besoins de financement et le financement octroyé. Vous demandez un crédit d’un montant donné. La banque procède à l’étude du dossier et vous accorde un montant largement en-deçà de votre demande qu’elle juge nécessaire et suffisant. Vous acceptez quand-même par dépit. En ce moment, vous courrez chercher un financement complémentaire parce que celui qu’on vous a accordé ne permettra pas de réaliser votre projet. Ensuite, pour la mise en place du crédit accordé par la banque, les tracasseries administratives commencent. Quand le crédit est enfin prêt, il est rogné par une batterie de prélèvements qui aggravent le fossé entre votre besoin et ce qui est accordé. Au moment où il est enfin débloqué, l’opportunité est perdue et le crédit vient peut-être compléter celui que vous avez couru initialement pour le compléter hors circuit bancaire à taux d’usure. La banque a contribué elle-même à hypothéquer le remboursement du crédit qu’elle vous a octroyé. ;

6-         Manque de formation de la clientèle au décryptage des conditions générales de banque affichées. Il est vrai que toutes les banques respectent les instructions qui leur exigent d’afficher les conditions générales dans leurs agences, mais combien savent lire ces conditions qu’il faut une loupe pour lire, tant les caractères sont petits, aussi bien dans les agences que dans les journaux ?

7-         Défaut d’information sur le fonctionnement des dates de valeur qui génèrent les agios sur les fiches de paie des salariés et sur les relevés de comptes des sociétés. Les explications reçues par les agents à l’accueil sur les agios prélevés sur les comptes pendant que les clients n’ont pas sollicité de découvert sont toujours vagues ;

8-         Silence radio sur les réclamations relatives à certains débits sur les comptes. Demandes d’échelles d’intérêts et diverses explications sur les débits en compte restées lettres mortes… Ceci est perçu comme une offense face à laquelle les clients se sentent impuissants et adoptent finalement la posture de la résignation ;

9-         Réduction du personnel du front-office par souci de rentabilité. Souvent un seul caissier sur trois prévus à l’heure de la pause qui correspond paradoxalement à l’heure à laquelle les salariés se libèrent pour les courses à la banque ;

10-       Manque de directives pour orienter les clients en fonction des opérations à faire. Certaines banques échappent à ce grief, mais pas dans toutes les agences ;

11-       Distributeurs souvent hors service. L’un des avantages d’un distributeur est d’éviter les files d’attente et surtout d’accéder à son avoir en dehors des heures d’ouverture de la banque. Il est malheureusement courant de buter sur des distributeurs ;

12-       Débit en compte non suivi de paiement effectif. Vous allez au Distributeur Automatique de Billets (DAB) et vous initiez un retrait. Le serveur tourne, votre compte est débité et quand il faut vous servir les billets, il se plante. La restitution des fonds ne se fait que lorsque le client s’en plaint, et elle intervient parfois des semaines après l’incident. C’est une situation très handicapante quand il s’agit des derniers billets qu’on a en compte. ;

13-       Carte bancaire périmée sans que les prélèvements de frais d’entretien ne s’arrêtent ;

14-       Manque de pertinence des process d’évaluation de la satisfaction du client. Les dispositifs d’évaluation de la satisfaction des clients, lorsqu’ils sont disponibles, sont très vagues et ne rendent pas compte de points spécifiques sur lesquels les clients ont à s’exprimer ;

15-       Billetage lors des paiements à la caisse ou aux distributeurs. En principe, derrière les chèques, il est prévu des cases à cocher selon le billetage souhaité, mais dans la pratique, les caissiers opposent un refus systématique à accéder au souhait des clients, sauf affinité avec les caissiers. Par ailleurs, les distributeurs sont programmés à servir des billets pour faciliter les transactions. Certaines banques mettent un point d’honneur à servir systématiquement 10 billets de 10 000 pour des retraits de 100 000 pendant que d’autres servent 5 billets de 10 000, 5 billets de 5 000, 5 billets de 2 000, 5 billets de 1 000 et 5 billets de 500 francs. Pendant que pour un retrait de 10 000, les distributeurs d’une banque servent 1 billet de 10 000, d’autres servent 1 billet de 5 000, 2 billets de 2 000 et 2 billets de 500. L’algorithme du billetage des distributeurs est un élément déterminant de la qualité de services qui peut particulièrement retenir ou attirer des utilisateurs de services bancaires ;

16-       Demande de garantie financière à 100% du crédit qu’elles veulent octroyer, ou forcément un titre foncier, est un grief tellement basic et récurrent ;

17-       Certains débits échappent à l’alerte sms banking. C’est le cas par exemple de certains virements ou de régularisation opérées par la banque, ce qui est source de mauvaises surprises pour les clients.

Les justifications données par les banques sur certains griefs

Face à ces griefs, les banquiers se défendent bien. Ils avancent des justificatifs. Certains sont convaincants. Pour d’autres ils n’en ont pas, mais les clients doivent avoir une idée sur les notions ci-après :

S’agissant des dates de valeurs et des agios incompris :

En nous référant au grief relatif aux agios prélevés alors que les clients estiment n’avoir pas bénéficié de prêts, il est important, voire nécessaire de donner un aperçu du processus de calcul des agios. Le client qui a peut-être 1000 francs sur son compte et qui reçoit 200.000 francs le vendredi et tire 100.000 francs le même jour. A la fin du mois, il verra sur son compte des agios pour la raison suivante : Le retrait est pris en compte par la banque la veille ouvrable. Sur le recueil de conditions, vous pouvez lire Retrait : Date de valeur J-1, tandis que le dépôt est pris en compte le lendemain ouvrable Dépôt : Date de valeur J+1. En termes clairs, Le dépôt de 200.000 francs du vendredi est pris en compte le lundi qui est le jour ouvrable suivant tandis que le retrait effectué le vendredi est pris en compte dans le système le jeudi. Ceci revient au fait que vous avez retiré 100.000 francs jeudi alors que vous n’avez pas d’argent sur votre compte au vu des dates de valeur, et le système calcule les intérêts débiteurs sur 4 jours, du jeudi au lundi. Il faut noter que, lorsque les intérêts sont calculés, automatiquement la commission du plus fort découvert est calculée. C’est ainsi que les clients se retrouvent à poser des questions sur les agios sur leur compte et reçoivent des réponses souvent évasives, quand elles en reçoivent finalement.

S’agissant de la lenteur dans les agences et dans l’exécution des ordres de transfert et autres services

La banque explique qu’elle procède à des vérifications et a recours à des autorisations à divers niveaux. Seulement, on met moins de temps dans certaines banques que dans d’autres. C’est donc l’organisation qui est à remettre en cause chez certaines banques.

Il en est de même de l’accueil. Les réponses à donner aux clients dépendent de la formation que ces derniers ont reçue. Il est nécessaire que les module de formation à l’accueil intègrent certaines notions élémentaires comme celles des dates de valeur par exemple.

La dotation des caisses en caissiers est un problème de rentabilité à notre avis. Si l’on crée trois ou quatre caisses et qu’on ne fait fonctionner qu’une seule, il y a derrière une recherche d’économie sur les charges du personnel qui peut paraître une bonne affaire à première vue, mais se révéler une cause de perte de la clientèle et de la qualité de service de la banque.

Les agents de banque tout comme les usagers des services des banques devraient s’informer sur un minimum pour faciliter leurs relations et les maintenir réciproquement gagnantes. Chaque banque devrait pousser sa curiosité à savoir ce que sa clientèle lui reproche ou attend d’elle, et il est possible de le faire. Il suffit d’un peu de volonté. Se satisfaire du taux d’inclusion financière élevé et boosté par l’avènement des GSM et IMF ne résout pas les imperfections des relations entre les banques et leur clientèle. Tout juste sont-elles cachées. Améliorer ces relations apporterait aussi bien pour les populations que pour les banques.

 

Igor Toyi EGOUNLETY

igoregounlety@gmail.com.

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