Mali: Le retrait de Barkhane diversement apprécié au Niger, bientôt au cœur du dispositif

Apres l’annonce du retrait prochain des forces françaises et européennes du Mali, le Niger s’apprête à devenir un point névralgique du futur dispositif de la lutte contre le terrorisme dans le Sahel.

 

En devenant le centre géographique de l’opération de lutte contre le terrorisme, le Niger devient ainsi la pièce maîtresse du nouveau dispositif des forces franco-européennes dans le Sahel. Vu de Niamey, ce retrait du Mali est diversement apprécié. Si les partis politiques de la mouvance présidentielle soutiennent la politique sécuritaire du gouvernement, il n’en est pas de même pour certains partis de l’opposition.

Dans les rangs de la société civile, on se félicite de ce retrait. Pendant plusieurs mois, la société civile nigérienne a fait du départ des forces étrangères son cheval de bataille. Mais le fait que le Niger devienne bientôt le point d’appui des forces franco-européennes est un problème pour l’acteur de la société civile Moussa Tchangari. Ce dernier estime qu’il s’agit d’ « une erreur du président Macron, qui veut rester dans la région ». « En restant militairement dans le Sahel, ajoute-t-il, la France risque de mettre les gouvernements alliés en difficulté. »

« C’est une très bonne chose », analyse pour sa part une source sécuritaire. Cet observateur averti considère qu’« aussi longtemps que ces forces accepteront volontiers de répondre par voie aérienne aux sollicitations du Niger agressé par des jihadistes, leur réinstallation au Niger ne causera aucun problème. »

Pour rappel, des forces spéciales américaines et leurs drones armés Reaper sont basés depuis des années à Agadez. Dans l’Azawak nigérien, au nord de Tahoua, des forces spéciales allemandes continuent d’entraîner des soldats nigériens.

Le départ des militaires suscite inquiétudes et soulagement

Après près de 10 ans de présence au Mali, l’annonce du retrait des militaires français et européens du Mali laisse un vide à combler. Pour certains, c’est au tour des forces armées maliennes de prendre le relais, mais d’autres émettent des doutes quant à leur capacité de couvrir tout le territoire malien.

Il n’y a pas encore de réaction officielle de la part des autorités maliennes, mais deux officiels contactés par téléphone par RFI se contentent de dire que le gouvernement prend acte de la décision de retrait.

Une réunion, initialement prévue mercredi, a eu lieu ce jeudi après-midi à Bamako entre les autorités maliennes et les représentants de pays européens membres de la force anti-jihadiste Takuba.

D’après nos informations, la partie malienne a expliqué aux diplomates en poste à Bamako que le départ annoncé des deux forces n’est pas de la faute du Mali. Toujours d’après nos informations, en matière de coopération sécuritaire sur le terrain, le Mali va maintenant privilégier des accords bilatéraux.

La prise de relai des Famas

Maintenant que le départ des militaires français et de ses partenaires est acté, au Mali, il va falloir combler un vide. Actuellement, 66% de la superficie totale du Mali qui se situe dans le nord est habitée par seulement 9% de la population malienne. C’est une zone vaste avec des problèmes de sécurité qui demeurent.

Quand j’entends le président français dire que l’armée malienne, la junte ne peut pas combattre le terrorisme ? Je me porte en faux.

Cette semaine, selon différentes sources, des dizaines de civils ont été encore tués par de présumés jihadistes laissant place à de nombreuses questions. Les ex-rebelles sont-ils toujours armés ? Que vont-ils faire ? Et surtout, les Famas vont-elles pouvoir se déployer pour occuper la place laissée pas le départ de Barkhane et de Takuba ? Une autre piste est sur la table, faire appel au grand voisin du Nord : l’Algérie.

Les casques bleus des Nations unies vont, de leur côté, restés sur place, mais ils n’ont pas un mandat robuste pour lutter efficacement contre le terrorisme.

Sentiment anti-français

D’autre part, dans les rues de Bamako, c’est une journée somme toute banale. Les gens sont véritablement préoccupés sur leur quotidien et leur journée de travail. Il faut dire que l’annonce d’Emmanuel Macron n’est pas une surprise et nombreux sont les habitants de la capitale qui réclamaient ce départ des troupes françaises du Mali.

Il y a beaucoup de facteurs qui ont contribué à la crise actuelle

Le principal argument des détracteurs est de dire qu’en près de dix ans, les rares succès militaires et l’élimination de certains chefs terroristes n’ont pas permis de mettre fin au cycle de la violence dans le pays. Et même si le président français récuse ce terme, l’intervention française au Mali est perçue comme un échec.

Avec le départ français, on compte surtout, au Mali, sur l’action des forces armées maliennes et la coopération avec la Russie et celle supposée avec la société Wagner, en vue d’une amélioration de la situation sécuritaire au Mali. Mais Bamako dément la présence de mercenaires de Wagner sur son territoire.

D’autres voix beaucoup plus minoritaires pensent que le Mali va regretter ce départ. Un cadre politique contactée par RFI a fait part de sa crainte de voir le pays livré à son propre sort, tout en trouvant dommage de perdre un partenaire du calibre de la France alors que les niveaux d’insécurité sont toujours très élevés dans le pays.

À Gao, plus de craintes que d’enthousiasme

La ville de Gao accueille la principale base française de Barkhane, amenée donc à disparaître. Comment, là-bas, l’annonce du départ des soldats français de Barkhane et européens de Takuba est-elle accueillie ? David Baché a posé la question à des habitants. Pour des raisons de sécurité, leur anonymat est préservé.

A Gao comme dans tout le Mali, beaucoup reprochent à la force française Barkhane, et à la force européenne Takuba, ne pas avoir su mettre un terme aux attaques jihadistes. Et qui espèrent donc que leur départ, et l’action couplée de l’armée malienne et de ses soutiens russes, permettra plus d’efficacité. Certains en sont même déjà convaincus.

Pour autant, nombreux sont ceux qui, à Gao mais aussi dans les localités voisines comme Ansongo, ne cachent pas leurs craintes. Plusieurs interlocuteurs estiment que l’armée malienne n’est pas prête pour prendre le relais. L’un d’entre eux parle carrément de « catastrophe » et craint « une extension du terrorisme. »

Tous gardent en tête la période d’occupation jihadiste de 2012, qui avait duré dix mois. C’est l’intervention militaire française qui avait permis de mettre un terme au contrôle de la ville par le Mujao.

Neuf ans plus tard, les attaques, terroristes mais aussi criminelles, demeurent pourtant très fréquentes à Gao ville, et dans toute la région : « mais la présence de Barkhane, surtout les survols des avions, est dissuasive », assure un habitant, qui craint que l’insécurité augmente encore davantage.

Au-delà de l’aspect sécuritaire, un habitant s’inquiète enfin des conséquences économiques : « Barkhane fait travailler plusieurs dizaines d’entreprises locales » rappelle-t-il, « beaucoup de gens, surtout des jeunes, vont se retrouver au chômage ».

rfi.fr

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