Arrestation et condamnation de Aïvo/Me Ousman Fatiou: « Ceux qui ont rendu cette décision n’ont pas dit le droit

Cela fait un an que le professeur Frédéric Joël Aïvo a été arrêté. Nous étions au lendemain d’une élection présidentielle d’où il a été exclu. Un an après son arrestation, Fatiou Ousma, avocat au barreau de Dijon (France) et ami du professeur revient sur cette arrestation et sur sur la procédure judiciaire qui s’en est suivie. Il nous révèle également une partie de la vie de l’universitaire en prison.

Matin Livre :

Aujourd’hui 15 Avril 2022, il y a exactement un an le Pr Frédéric joël Aïvo, candidat recalé aux élections présidentielle de 2021 a été arrêté, alors qu’il revenait des cours à l’université. Avec du recul douze mois après, comment vous avez vécu cet événement.?

Fatiou Ousman

En arrachant à sa famille, à ses étudiants et à ses partisans et à ses amis  le Professeur AÏVO, dans ces circonstances et avec cette violence, le régime dit de la rupture a voulu encore frapper les esprits des béninois et décourager toutes velléités de reconquête des libertés.

En s’en prenant à celui dont le courage et la volonté de défendre les Béninois et le Bénin, le seul homme du Landernau politique béninois qui a assumé son opposition face au régime, ce n’est pas que Frédéric Joël AÏVO qui était visé, mais tous les esprits libres et les citoyens opposés à l’injustice et à l’arbitraire engagés depuis 5 ans.

Vous me demandez comment j’ai vécu cette arrestation et ce procès… Je pense plutôt aux proches de Joël AÏVO, à ses jeunes enfants, à son épouse, à ses parents et à ses étudiants. Je pense aux jeunes et aux moins jeunes béninois qui se trouvent désormais privés de leur espoir en cet homme politique aux convictions chevillé au corps et au patriotisme inébranlable.

Je suis partagé entre une colère froide et un espoir fort car ceux qui lui font subir cette incarcération dégradante et illégale ont aussi réussi à l’installer dans le cœur des béninois.

Nous voilà privés depuis un an d’un homme d’un grand talent et d’une grande valeur pour le Bénin et pour l’Afrique.

Mais nous sommes confiants en ce que ses convictions et son refus de toutes compromissions ne vont faire que se renforcer et que dans peu de temps, quand liberté et démocratie des Béninois seront reconquis, il faudra compter sur Fréderic Joël AÏVO.

ML : La CRIET a reconnu le professeur  coupable d’atteinte à la sûreté de l’Etat et de blanchiment d’argent, et l’a condamné en décembre dernier à 10 ans de réclusion criminelle et à 50 millions d’amende. Vous avez suivi le procès à l’époque, quels ont été vos sentiments à l’annonce du verdict ?

FO : Ce n’est pas la justice qui est à l’œuvre mais la Politique et les politiciens en place actuellement à Cotonou qui ont voulu éliminer un concurrent de taille et un opposant sans peur.

Pour se convaincre de cette vérité, je vous renvoie aux propos hallucinants du Chef d’Etat sur les antennes de RFI et de France 24 quelques jours après sa forfaiture électorale où il a fait le procès public de ses deux concurrents, accusant l’une de porter des valises d’argent et l’autre d’annoncer que 5 ans c’était 5 ans et pas 45 ans jours de plus, octroyés par une révision constitutionnelle illégitime et annulée par la CADHP de manière inconstatable.

C’est d’ailleurs clairement ce qui est ressorti de ce procès rocambolesque et indigne qui s’est tenu, à la vitesse Grand V en décembre 2021, et qui a conduit à une condamnation tout aussi surprenante.

Comment vous pouvez comprendre qu’un dossier d’enquête et d’instruction aussi vide que ce à quoi nous avons assisté puisse conduire à une condamnation d’un homme politique ?

Comment accepter qu’alors même que les mis en cause ont clairement indiqué n’avoir jamais été en contact avec lui et n’avoir jamais reçu la moindre instruction du candidat recalé, il ait pu être retenu dans les liens d’une cause judiciaire ?

Comment peut-on nous faire avaler, à nous Béninois, qu’un dossier matériellement vide de toutes preuves de la moindre implication de Frédéric Joël AÏVO, a pu conduire à une condamnation et à un emprisonnement infamant. Comment pouvez-vous comprendre qu’à aucun moment, on nous ait notifié une quelconque poursuite contre le financeur présumé de des faits de blanchiment ? Et enfin, comment pouvez-vous comprendre que ce soit plusieurs mois après les poursuites que l’administration fiscale ait du qu’il y aurait des actes présumés de fraudes fiscales de la part de la personne présentée comme l’auteur de ladite fraude ?

Ce n’est pas de la justice ça. C’est une farce politique dont des juges sont malheureusement les instruments.

Cette justice a inventé la culpabilité par association d’idées et par intérêts, leur motivation allant jusqu’à reprocher à un candidat déclaré et avançant sans masque qu’il ne pouvait que tirer avantage d’une prétendue opération de tentative de déstabilisation, dont on a vu en réalité qu’il n’en a jamais rien été au vu de la pauvreté des éléments matériels retrouvés chez deux des mis en cause.

Je ne suis pas un homme des excès, mais cette procédure était tout sauf de la justice. Ceux qui ont rendu cette décision n’ont pas dit le droit. Ils ont rendu service à leur donneur d’ordre. Ils en assumeront aujourd’hui et demain la responsabilité devant l’histoire et devant les béninois.

D’ailleurs, je vous renvoie aux déclarations pleines de dignité et de courage du Professeur AÏVO lors de son procès.

Ils ont voulu écarter un homme politique. Ils ont créé un Homme d’Etat. Le Bénin d’après pourra compter sur un de ces citoyens les plus dignes et patriotes, Frédéric Joël AÏVO.

« Le procès de Frédéric Joël AÏVO et de Reckya MADOUGOU et de centaines d’autres citoyens libres a été fait publiquement par le chef de l’État en personne dans les médias »

ML : Le verdict prononcé, le Pr AIVO refuse de faire appel, n’est-ce pas là, un aveu de sa culpabilité ?

FO :

C’est une question qui revient souvent et qui reviendrait presqu’à reprocher au condamné l’absence d’exercice des voies de recours.

Mais cette question nous renvoie à une chose simple : quel recours exercer dans un pays où la justice n’est plus rendue au nom du peuple mais pour les intérêts des puissants ?

Comment croire qu’un pays qui ne respecte pas les décisions de la CADHP (devenant ainsi un Etat voyou voire délinquant) puisse respecter les droits de ses citoyens et rendre une décision juste et équitable ?

Je vous rappelle que le Bénin s’est illustré depuis 2016 et s’évertue à ne plus respecter les droits des justiciables béninois, avec l’aval d’une cour constitutionnelle dont les revirements jurisprudentiels sont véritablement des reniements du Droit. Il faut le dire sans ambages ni embarras, notre justice est politique et une justice politique ne rend dit pas le Droit, elle obéit aux ordres.

Le procès de Frédéric Joël AÏVO et de Reckya MADOUGOU et de centaines d’autres citoyens libres a été fait publiquement par le premier des béninois à la télévision devant deux journalistes de RFI et de France 24 fin avril 2021. Il ne faut plus rien attendre des juges de la CRIET et de sa chambre des appels.

Le professeur a été très cohérent en choisissant de ne pas interjeter appel. Je n’y vois que la fidélité à ses convictions. Ce dossier est politique et les béninois le savent pertinemment. Ils savent que le Professeur AÏVO subit un emprisonnement politique comme avant lui Nelson MANDELA et bien d’autres vaillants combattants des libertés et libérateurs de leurs pays.

« Toutes les parties savent que la solution à cette crise est politique.

ML :

À présent que tout est consommé, qu’attendez-vous du pouvoir de Patrice Talon par rapport à au professeur AÏVO ?

FO :

Vous savez, le professeur Aïvo voulait apaiser le pays et rassembler les béninois autours des enjeux cruciaux du progrès de notre pays. Ces deux priorités étaient inscrites en tête de son programme. Il s’est retrouvé en prison après l’élection. Toutes les parties savent que la solution à cette crise est politique. C’est également ce qu’attend chaque béninois de la classe politique dans son ensemble et particulièrement du président Talon qui a toutes les clefs en main non seulement pour Joël AÏVO, mais aussi pour tous les prisonniers politiques. Malheureusement, nous n’avons pas beaucoup avancé là-dessus depuis l’incarcération du professeur Frédéric Joël AÏVO. Ils l’ont pourtant déjà fait en 2019 lorsqu’ils ont fait tirer sur des manifestants désarmés.

Ils savent donc ce qu’ils ont à faire.

Je répète, en Amour comme en Politique, les déclarations ne suffisent pas, seuls les actes comptent et ils savent ce qu’ils doivent faire pour apaiser notre peuple qui souffre déjà beaucoup de leur gestion fort contestable.

ML : Vous avez les dernières nouvelles du Pr AIVO, quel est son état d’esprit ?

« Grâce à lui, plusieurs personnes oubliées en prison ont recouvré leur liberté

FO :

Les épreuves, les obstacles, les difficultés, les menaces, les intimidations et les brimades n’ont fait que le conforter dans ses engagements pour les béninois.

Vous ne pouvez pas imaginer les conditions dans lesquelles lui et des milliers d’autres prisonniers béninois vivent actuellement dans la promiscuité et l’insalubrité la plus totale.

Joël AÏVO se tient fort, droit et fier.

Malgré son incarcération dégradante et inhumaine, il garde un moral d’acier car il a pour lui son innocence et l’amour des béninois.

Il se met même au service des autres prisonniers qui le consultent sur leurs droits en prison.

C’est un fait extrêmement rare et important qu’un détenu aide les autres détenus à sortir alors que lui-même est arbitrairement détenu.

ML :

Vous dites qu’il aide d’autres détenus à sortir de prison ?

FO : Oui, il n’aime pas beaucoup qu’on en parle, mais grâce à lui, plusieurs personnes oubliées en prison ont recouvré leur liberté. L’un d’entre eux avait passé plus de 18 ans en détention préventive. Il est sorti début décembre, juste avant le procès du professeur Aïvo… Et bien c’est cela un Homme d’Etat. C’est ce qu’est Joël Frédéric AÏVO, c’est ce qu’il est depuis longtemps mais c’est aussi ce que cette condamnation politique a révélé ou confirmé.

Voilà l’homme de valeurs et de conviction dont sa famille et les béninois sont privés depuis douze mois désormais.

 

ML : En  guise de conclusion qu’avez-vous à ajouter à cet entretien ?

FO : Je voudrais d’abord m’adresser à mon Ami Frédéric Joël AÏVO et l’inviter à ne rien lâcher de ses convictions et de sa force mentale. Je voudrais lui dire de tenir bon car il a pour lui sa conscience et son innocence.

Je voudrais lui recommander de rester digne et fier de ce qu’il est et de ce qu’il fait car son embastillement prouve qu’il était et qu’il est toujours dans le Vrai.

Nous, proches et amis, et Béninois de tous horizons sommes tristes de le voir ainsi mais lui promettons de ne pas l’abandonner. Nous comptons sur lui pour le Bénin d’après. Il peut aussi compter sur nous.

Je voudrais enfin m’adresser aux béninois pour leur dire qu’ils ne doivent rien perdre de leur foi et de leur lucidité.

Je sais et nous savons que les béninois ne sont pas dupes et que malgré les discours officiels et la propagande médiatique de ce régime, les béninois les observent avec circonspection, n’ayant rien loupé de leurs reniements et mensonges.

Je nous invite, béninois, à nous souvenir des sacrifices consentis par les compatriotes emprisonnés pour avoir osé se dresser contre l’arbitraire.

Je nous invite, nous béninois, à ne pas oublier ceux qui sont morts pour la patrie sous les balles meurtrières de la répression policière et militaire.

Je nous invite, tous, à ne jamais oublier qu’au-delà de Reckya MADOUGOU et Joël Frédéric AÏVO et des centaines de prisonniers politiques, l’objectif est plus large et vise la soumission de tous.

Soyons tous mobilisés pour reconquérir notre pays, nos libertés et notre Démocratie.

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