Jimmy Adjovi-Boco: « La jeunesse, une terrible opportunité ou une grosse menace pour l’Afrique »

L’ancien footballeur Jimmy Adjovi-Boco, devenu conseiller technique du Ministre des sports du Bénin, était de passage à Nantes ce week-end à l’invitation de Rock Feliho. L’ancien défenseur du Racing Club de Lens est venu soutenir une sélection de jeunes béninois de 14 et 15 ans qui participaient au tournoi organisé par le HBC Nantes. L’occasion d’évoquer ses nouvelles fonctions, d’une manière plus vaste la jeunesse africaine mais également le football. C’est une interview de ouest-france.fr publiée le 31 août 2022 que se permet de relayer Matin Libre.

 

Il reste le même. Les dreadlocks ont seulement blanchi, Jimmy Adjovi-Boco a passé le week-end à Nantes à l’invitation de son ami Rock Feliho. L’ancien défenseur du Racing Club de Lens est venu avec la casquette de conseiller technique du Ministre des Sports du Bénin. Celui qui a fondé l’Institut Diambars (Sénégal), avec Patrick Vieira et Bernard Lama, a partagé cette fois du temps avec la sélection béninoise venue se mesurer tout au long du week-end à un autre monde plus aguerri lors du tournoi international U17 organisé par le HBC Nantes. Il les a vus se battre avec la colle qu’ils ne sont pas habitués à utiliser, remporter leur ultime rencontre pour éviter la dernière place mais surtout bien davantage. Lui-même se définit un peu comme le grand frère de tous ces sportifs, comme Rock Feliho ou la championne olympique de judo, Clarisse Agbégnénou, qu’il est parvenu à convaincre d’être des têtes de pont entre la France et l’Afrique pour aider la jeunesse de son pays. Avec ma réussite sportive et sociale, entre guillemets, le fait aussi que j’ai été membre du Conseil Présidentiel pour l’Afrique (le CPA a été créé par le président de la République, Emmanuel Macron, afin de renouveler le partenariat entre la France et les pays africains) avant d’en démissionner, les gens voient la sincérité qu’il y a derrière ma démarche. Je ne pense pas être le plus bête des sportifs. Ils ont confiance en ce que je dis et fais, j’essaie de leur rendre.

Durant une heure, avant de reprendre son train vers Paris, celui qui aurait aimé également partager un peu de temps avec Antoine Kombouaré, a évoqué son investissement auprès du continent africain, la jeunesse de son pays mais également le football tel qu’il l’imagine encore.

Qu’avez-vous perçu dans les yeux de ces jeunes Béninois tout au long du week-end ?

Déjà le fait que Rock (Feliho) soit parvenu à organiser cette invitation pour nos jeunes est extraordinaire. On a une nouvelle équipe fédérale structurée avec une vraie vision et l’envie de développer la discipline au Bénin. Ce genre de tournoi permet de se frotter au haut niveau et de voir le travail qu’il reste à accomplir. J’ai vécu ça avec Diambars. Nous allions chaque année en Espagne puis en France avant de participer à la Norway Cup. Un périple de plus d’un mois capital pour la réussite de nos jeunes. Au pays, on gagnait tous nos matches haut la main. Je leur disais, ce n’est pas ça le haut niveau. Tout le monde me répondait, oui, oui, oui… sauf qu’on a pris des raclés. On avait respecté les critères exigés. Je veux dire par là que le problème que l’on a, nous, en Afrique, c’est la fraude sur l’âge. On pense qu’on travaille bien car on gagne des tournois en trichant… Voilà comment nous en sommes venus à recruter de vrais 12-13 ans… Les handballeurs font très attention à l’âge. Au-delà de la qualité du jeu et de leur progression, je pense que ces jeunes ont gagné le cœur des supporters et des bénévoles. Les mômes sont vraiment gentils, hyper bien éduqués.

Dans leurs yeux, j’ai vu de l’émerveillement, un sourire en permanence, la reconnaissance. Personne n’avait voyagé auparavant. Cela n’a pas été facile, on s’est battu, j’apprécie d’ailleurs cette collaboration avec les services consulaires. On sait que la relation entre la France et le continent africain n’est pas toujours facile… Le Chef de l’État, Emmanuel Macron a fait du sport un vrai levier d’échange entre la France et l’Afrique. Toutes ces questions étaient un peu mises de côté auparavant.

Parlez-nous du sport béninois ?

Étant donné que le travail n’est pas accompli par les clubs, nous en sommes revenus à ce qu’était le sport auparavant, en l’occurrence le sport scolaire, en créant par exemple des classes sportives et une compétition qui durant dix jours a réuni 1 000 jeunes venus des douze départements du Bénin pour du football, du basket, du handball ou de l’athlétisme… Les enfants se découvrent, chacun se présente d’un point de vue culturel, gastronomique, ses danses… L’an dernier, certains du Nord n’avaient jamais vu la mer avant d’arriver à Grand Popo. Ça permet de construire une nation unie.

Cette jeunesse, c’est l’or du continent africain ?

Ça l’est si on sait faire. C’est une terrible opportunité, mais ça peut être une grosse menace. C’est-à-dire que si on n’arrive pas à trouver le moyen de créer des emplois, que cette jeunesse s’épanouisse, soit formée, soit éduquée pour pouvoir répondre aux enjeux de l’avenir, cela peut s’avérer explosif. Une jeunesse à qui n’offre aucun débouché, c’est une jeunesse qui va sortir dans la rue et exprimer son mal-être et son mécontentement. Ce qu’on trouve au Bénin aujourd’hui, c’est un chef d’État (Patrice Talon) et un gouvernement qui ont compris tous les enjeux qu’il y avait autour du sport. Le sport en Afrique peut devenir un véritable levier de développement économique et social pour la jeunesse.

Cette jeunesse semble en défiance vis-à-vis de la France ?

Effectivement, il y a une vraie défiance. On l’a dit très rapidement. Si on n’en prend pas conscience, les choses que ne faisaient pas ou ne disaient pas nos parents car il y avait une certaine déférence à l’autorité française, les jeunes l’exprimeront avec violence. Il est important de changer ces termes d’échange avec le continent africain. On ne peut plus avoir une relation parents-enfants. On doit avoir une relation d’adulte à adulte et gagnant-gagnant. Aujourd’hui, on a des pays souverains. C’est à nous, Africains, et à nos dirigeants de poser les termes de ce nouveau partenariat.

La France avait un regard condescendant vis-à-vis de l’Afrique ?

Complètement, notamment dans certaines ambassades ou consulats. Les gens n’en veulent plus. Je trouve justement que le Président Macron essaie de poser des termes d’échanges différents. On n’est plus sur ces bases anciennes de colons-colonisés. Les choses changent, il faut juste que cela aille plus vite.

« Les jeunes idéalisent la France »

La première image que l’on a de cette jeunesse est malheureusement l’exil à travers cette traversée de la Méditerranée ?

Les jeunes idéalisent la France et l’Europe. Ils ont l’impression que l’argent tombe du ciel… Ce genre de déplacement, le fait de résider en famille d’accueil, doit permettre justement de leur expliquer la réalité et que la vie n’est pas facile ici. Avec Diambars, on les amenait voir la Tour Eiffel, les Champs-Élysées mais également Arras, Lens ou Roubaix. La France n’est pas un Eldorado, ça peut l’être. C’est tout l’intérêt d’un tel voyage à mon sens. Le débrief avec les éducateurs sera important.

Parlez-nous du réseau d’optique que vous avez monté en Côte d’Ivoire ou des garages solidaires que vous avez créés en France ?

Pour les garages que j’appellerai plutôt garages participatifs, il en existe un dans l’Oise, un autre dans le Nord-Pas-de-Calais et un troisième à côté de Montpellier. Le concept est que les gens puissent eux-mêmes réparer leur véhicule s’ils le veulent, ça réduit le coût de leur entretien dans la mesure où ils n’ont pas à payer la main-d’œuvre et sont aidés par des professionnels. Le premier que l’on a créé a été repris par le salarié que l’on avait embauché. Au départ, il avait une obligation à quitter le territoire mais je suis parvenu à faire régulariser sa situation. Je l’appelais le magicien car il avait des mains en or, à l’oreille il vous disait de quoi souffrait votre voiture. Il s’est associé et un chirurgien passionné de véhicules de collection qui réparait sa Fiat 124 le samedi. Le problème, c’est que l’on met trop souvent les gens dans un coin au lieu de créer des passerelles entre niveaux socioculturels différents.

Vous avez également cofondé la marque Envie d’y voir, en Côte d’Ivoire ?

L’idée était de permettre l’accessibilité aux lunettes a des prix défiants toute concurrence. À la cinquantaine, quand on commence à avoir des problèmes de presbytie, je me suis fait la remarque que si on n’avait pas les moyens d’acheter des lunettes, on ne pouvait rien faire. Ça ne sert à rien de dépister si on ne peut pas amener des solutions. L’idée par conséquent est de dépister un maximum d’enfants. Beaucoup d’entre eux passent à travers leur scolarité et même de leur vie car ils n’ont jamais su qu’ils avaient un problème de vue, ne voient pas le tableau et donc ne peuvent pas lire.

Cet engagement, il trouve ses racines dans votre environnement familial ?

Ma mère était assistante sociale. Avec mes frères et sœurs, j’ai par conséquent grandi dans un environnement ou aider l’autre faisait partie de la normalité. C’est la plus belle des choses de voir qu’au travers de ce que l’on fait, on parvient à changer la vie des gens.

« Le foot doit se recentrer sur l’humain »

 Un mot sur vos liens avec le football ?

Le foot européen me déçoit, pour autant j’ai beaucoup d’espoirs à travers ce que mon club de cœur, le Racing Club de Lens, est en train de redevenir, juste parce que des hommes ont des valeurs. L’argent n’est pas un accélérateur. On l’a mis au centre de tout dans le foot alors qu’il faudrait se recentrer sur l’humain… Tout ce que doit apporter le sport, on passe à côté. La chose la plus gênante, ce sont les jeunes qui viennent au foot pour gagner de l’argent. Nos éducateurs ont un rôle qu’ils ont perdu. L’argent doit être la conséquence et non l’objectif. Si on est bon, si on travaille bien, si on se comporte bien, on en gagnera mais si on commence à penser que c’est l’objectif…

À Diambars, notre objectif ne consiste pas uniquement à en faire de futurs joueurs du PSG de l’OM ou du FC Barcelone mais de les instruire afin qu’ils soient des citoyens capables de s’en sortir, sachant que la majorité ne deviendra pas professionnels… Quand on voit Idrissa Gueye ou Aly Sileymane Ly, jeune talibé que l’on a récupéré à l’âge de 13 ans qui ne savait ni lire, ni écrire. Aujourd’hui, il en a 32, il est ingénieur informatique réseau dans une filiale d’IBM, en un an il est devenu le leader technique de son groupe et se trouve en plein dans la création d’un projet de construction d’une école pour les talibés. Sadio Mané, outre le fait d’être un exemple sur le terrain, son implication dans le développement social est à mon sens bien plus importante qu’un Ballon d’or !

SOURCE : ouest-france.fr

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