Sa Majesté Adétutu Onishabè, Roi de Shabè (Savè): « C’est à croire que le gouvernement et ses ramifications ne nous considèrent pas »

Comment vous appréciez cette paix qui s’est exprimée lors des législatives de 2023, contrairement aux élections antérieures ?

A priori on peut se réjouir que tout s’est passé dans la paix et il n’y a pas eu de manifestations, de crises comme les deux élections précédentes. C’est déjà un effort. Mais ce que je peux noter est que les causes de ce qui s’est passé en 2019 et 2021 sont toujours omniprésentes. Le gouvernement sait bien ce qui s’était passé. On n’a pas tellement cherché à régler ce problème. Ça fait que si on ne règle pas ce problème, le risque demeure. Une perturbation qui peut se manifester autrement.

Quels sont les problèmes auxquels on doit s’attaquer ?

Vous savez, la société est multiforme. Le comportement des uns et des autres fait que là où on en est arrivé, c’était des trucs qui s’accumulaient pour produire tout ça. Donc il faut aller à la genèse des choses et corriger beaucoup de choses.

Les élections de 2019 et 2021 sont passées et on a organisé celles de 2023. Qu’est-ce qui a pu se passer pour que tout se soit déroulé dans la paix ?

C’est parce que les gens, plus ou moins, étaient encadrés et puis il y a eu aussi la peur.

Et quel rôle le Roi Adétutu a joué ?

J’ai dit à tout le monde d’aller voter en paix. En cela, j’ai été beaucoup aider par le BR et l’UPR qui m’ont soutenu.

Est-ce à travers des sensibilisations au Palais royal ici ?

Non, Je suis sorti. Kilibo par exemple est sous moi. Vous savez que Kilibo en 2019 était le premier foyer des tensions. Le chef traditionnel, le Ballê, qui était sous moi, est parti et j’ai réussi à mettre un régent ; Ce qui fait qu’en 2021, Kilibo ne s’était pas du tout mêlé au boycott. Donc ce sont des actions du genre que nous avons menées.

Majesté, est-ce qu’on peut considérer que la paix est définitivement revenue aujourd’hui à Savè ?

La paix est revenue mais il faut que le gouvernement s’intéresse à Savè parce qu’en 2019 après les violences, on m’a sollicité et j’ai été voir le président de la République, Patrice Talon. Et c’est suite à notre visite qu’on a enlevé les conteneurs de la devanture de la maison du président Yayi Boni. On a un peu participé à ça. On était là-bas un vendredi et le samedi aux premières heures, ils ont enlevé les conteneurs. Mais j’avais demandé au président (Patrice Talon) de me permettre de revenir pour un tête-à-tête afin que je lui dise ce qu’il faut faire pour calmer définitivement la tension. Depuis 2019, il ne m’a plus reçu.

Est-ce que vous avez envoyé par la suite une demande d’audience ?

Et comment ?

Vous avez quelque peu contribué à faire enlever le blocus devant la maison de l’ancien chef de l’Etat. Et ceux qui sont en prison notamment les fils de Savè, vous en dites quoi ?

Tout ça, il faut bien que le président accepte de me recevoir en audience pour que je lui explique les choses et lui-même pourra apprécier.

Est-ce que des parents de détenus dans le cadre des élections viennent vous poser le problème de libération de ces détenus ?

Ceux qui sont en prison, c’est qu’ils ont fait quelque chose.

Mais il pourrait avoir des innocents ?

Il y a des innocents. Je suis même intervenu. On en a même relâché à Savè ici en 2019. Mais les autorités ne viennent pas nous voir. C’est à croire que le gouvernement et ses ramifications ne nous considèrent pas.

Vous avez quand même votre fille Eléonore Yayi Ladékan qui est au gouvernement. Est-ce que vous lui posez les problèmes de Savè ?

Avec ce gouvernement, c’est fermé. Pourtant tous ceux qui sont au gouvernement, je les connais plus ou moins ; soit on a fait le lycée ensemble, soit on a fait l’université. Mais ils sont injoignables. C’est à croire même qu’on n’a aucun droit. Depuis 1960, on se débrouille.

Qu’est-ce que vous souhaitez concrètement ?

Qu’on nous prenne en charge. Le problème qui se pose ici, c’est le problème de terre. On essaie de régler ça mais le gouvernement préfère venir superposer un tribunal de conciliation. Or, il n’arrive pas à régler. C’est la terre qui pose le plus de problème. Un prince par exemple, se lève, vas en campagne et dit la terre là c’est pour mon père. Donc il peut en disposer, en vendre des hectares. Il est prince, qui est son père ? Ce n’est pas moi son père ?

Vous estimez qu’on empiète sur les prérogatives des rois ?

Oui, et maintenant c’est le maire qui vient dire qui est propriétaire terrien et qui ne l’est pas. Les gens font les trucs, ils viennent ici et on règle ça. Donc c’est tout ça qui me fait dire qu’on doit faire la part des choses puisque c’est nos royaumes, chefferies qu’on a mis côte à côte pour former le Bénin. Maintenant, vous laissez ces choses-là. Est-ce que les mânes de nos ancêtres seront contents ?

Mais il y a l’avènement de la décentralisation et de la déconcentration 

La décentralisation de 2003, l’Etat ne reconnaît que les élus locaux. Et c’est mal fait. Tout ce qui se passe, c’est un conflit d’intérêt. Ce n’est pas un conflit entre nous et les élus. C’est conflit d’intérêt entre eux. Et c’est ça qui crée tout ce que nous déplorons. Comme le gouvernement ne veut pas nous écouter, qu’est-ce que nous, on peut faire ?

Majesté, pour revenir à la crise électorale, certains parents continuent d’attendre la dépouille de leurs enfants tombés dans ces violences. Quel appel avez-vous à lancer pour que ces parents recouvrent les corps et puissent faire le deuil ?

C’est le rôle des politiciens. Vous par exemple, vous êtes allés me voir pour m’interviewer. Mais le gouvernement ne nous pose une quelconque question. Les nôtres ici, on les calme plus ou moins. Les politiciens qui doivent en premier faire ça, ils ne s’entendent pas entre eux pour régler correctement les problèmes. Je ne peux que dire qu’ils finiront par s’entendre et relâcher les gens. Mettez-vous à ma place.

Propos recueillis et transcrits par Jacques BOCO

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