Arrêtés dans le cadre des élections sous la Rupture: Des étudiants en train de perdre des années en prison

 Avec les législatives de janvier 2023, le Bénin semble renouer avec l’organisation d’élections pacifiques. Ce qui a été salué par les populations notamment des élus communaux, des autorités de la chefferie traditionnelle, des étudiants et parents rencontrés à Bantè, Savè, Tchaourou et Parakou ; des zones qui se sont illustrées par des violences lors des législatives et la présidentielle contestées de 2019 et 2021. Cependant, pour la consolidation de cette paix, des ardoises restent à solder. Entre autres, la question de la libération des personnes arrêtées dans le cadre de ces violences. En dehors des plus connues et citées régulièrement à savoir : l’ancienne ministre Reckya Madougou et le professeur Joel Frédéric Aïvo, il y a des étudiants et même des innocents selon certains témoignages. Depuis environ trois ans, certains n’ont plus vu leur enfant, arrêté le matin de bonheur. C’est le cas de M. Assouma Abdou Baki, qui était au bord des larmes quand il nous décrivait les circonstances de l’interpellation de son neveu étudiant. A l’instar de ce parent d’étudiant, beaucoup d’autres citoyens plaident pour la remise en liberté de ces détenus, surtout ces étudiants qui sont en train de perdre des années académiques, hypothéquant ainsi leur avenir.

 

Abdou Baki Assouma, parent d’un étudiant en prison

« Pour que nous ayons vraiment la paix, on a besoin de tous les enfants de ce pays »

(Au bord des larmes, ce parent d’étudiant n’a plus vu son neveu interpellé à 6 heures du matin)

Que pouvez-vous nous dire de votre enfant étudiant qui se trouve en prison ?

Ce n’est pas facile de supporter, après avoir payé la scolarité d’un enfant, du bas âge jusqu’à l’université où maintenant les parents pensent avoir la relève, qu’on dise que cet enfant est incarcéré. Il est en train de perdre trois ans. Trois années successives, vraiment ça fait mal. Pendant qu’on était en train d’investir pour sa scolarité, maintenant on est en train de lui donner de quoi subsister en prison. Ça fait mal, je vous parle sincèrement du fond du cœur. J’ai mal !

Dites-nous exactement la date à laquelle il a été arrêté

Je ne peux pas donner la date exacte. Je me rappelle seulement qu’un jour, au mois des carêmes, au moment où on voulait faire la présidentielle où les jeunes avaient marché, il paraît qu’il se retrouvait parmi eux. C’est comme ça, un matin, il y a eu une horde de policiers qui avaient envahi ma maison. Je n’étais pas informé, quand subitement je me suis levé et j’ai eu des gens qui m’ont tenu en respect avec armes. Je n’avais pas le droit de bouger. Sans aucun mandat de perquisition, ils ont fouillé ma chambre de fond en comble. Et c’est lorsqu’ils ont retrouvé mon neveu qu’ils ont dit que c’est lui qu’ils sont venus chercher. Ils l’ont donc emmené dans la cour. En ce moment, ils ont dit : capitaine, c’est bon ! C’est comme ça qu’ils sont partis avec lui, et à chaque cinq pas, ils pointaient l’arme sur moi en disant : « monsieur, vous ne bougez pas ».

C’était à quelle heure exactement ?

Ils sont venus aux environs de 6 heures. Il y a un enfant qui est parti faire la prière, c’est lui qui n’a pas fermé la porte. Et c’est ça qui leur a permis d’entrer par effraction.

Votre neveu, il s’est inscrit dans quelle filière et quelle année à l’université ?

Il était en troisième année. Je ne maîtrise pas les trucs à l’université mais je sais que c’est quelqu’un qui venait me parler d’économie.

Et c’est à l’université de Parakou ?

Oui, à l’université de Parakou.

Et aujourd’hui, avec les sensibilisations, les élections législatives qui se sont déroulées dernièrement avec toutes les tendances, Yayi Boni au 1er août, tout ce qui a été dit, quel sentiment vous anime malgré la non libération de votre enfant et d’autres détenus dans le cas ?

Vous savez, quand on dit paix, ce n’est pas seulement l’absence de guerre. Lorsque dans un pays vous n’avez pas la possibilité de parler, de dire ce que vous pensez, de ne pas être sûr que le lendemain, par exemple, on ne viendra pas vous arrêter, ça là, c’est une paix précaire. Donc, pour moi, ce que les gens ont fait, ça ne nous rassure pas. Ce n’est pas la paix ça.

Alors, qu’est-ce que vous aurez souhaité ou quel est votre plaidoyer ?

Dans un Etat, quand le peuple veut manifester sa colère, il y a deux solutions. La première, c’est la marche ou les élections. Le gouvernement qui a la destinée du pays peut organiser les marches, permettre aux gens de s’exprimer, canaliser si c’est qu’on a peur des casses. Si la Police canalise une marche, ça ne va pas dégénérer. Donc je crois que la faute revient au gouvernement. Le gouvernement doit pouvoir mettre de l’eau dans son vin pour savoir qu’on peut permettre au peuple de s’exprimer sans être obligé d’arrêter les gens. Nous avons vu dans ce pays le président Kérékou, un militaire à qui on a jeté la pierre mais il n’a pas fait tirer sur la population. C’est pour dire que si on veut vraiment la paix, qu’on pose les actes qui concourent à cette paix.

Et par rapport à des détenus comme votre neveu, que souhaiteriez-vous ?

Je ne parlerai pas seulement de mon neveu, je parlerai des détenus en général. Pour que nous ayons vraiment la paix, on a besoin de tous les enfants de ce pays pour construire le pays. Quelques individus ne peuvent pas prétendre détenir la vérité ou parler au nom des plus de douze millions de Béninois. Non, on a besoin de tout le monde ; que ça soit les gens qui sont à l’extérieur, qu’on leur permette de rentrer ; et ceux qui sont en prison, qu’on leur permette d’aller en famille. Et, les étudiants, s’ils peuvent continuer, qu’on leur permette de continuer. Ça ne va pas empêcher le pouvoir de réaliser son programme d’action. L’actuel président a quand même vécu dans ce pays et il a vu comment le pays a été géré pendant des années. Donc, cet Etat militaire, on n’est vraiment pas habitué. Si le gouvernement peut faire l’effort de relâcher simplement ceux-là qui sont en prison, la paix ne peut pas ne pas revenir.

Depuis près de trois ans, est-ce que vous savez la prison dans laquelle votre neveu est détenu et est-ce qu’on vous permet de le voir ?

D’abord, il était à Cotonou puis on l’a transféré à Calavi. Je n’ai pas été parce que les gens me déconseillent d’aller. C’est par personne interposée que j’arrive à le joindre parce qu’on me dit que c’est chez toi qu’on l’a pris ; imagine si on ne l’avait pas vu le jour-là, quel serait ton sort ? Tant qu’il est là si tu continues par aller on va te soupçonner. Par conséquent n’y va pas. Mais s’il a besoin de quelque chose, il envoie la commission par son ami et c’est à lui que je fais le retour. Donc je ne suis jamais allé en prison pour même tenter parce que quand on vous a prévenu, si vous y allez et quelque chose vous arrivait, les gens vont dire on l’a pourtant prévenu. Voilà pourquoi je n’y vais pas.

Pour beaucoup, il y a une solution, il y a un espoir : c’est une loi d’amnistie. Vous ne voyez pas les choses de cette manière aussi ?

Si tous les Béninois sont d’accord, je crois que ça devrait être fait parce qu’un gouvernement doit pouvoir chercher le bien-être de sa population. Si le gouvernement sait lire à travers les sentiments, les remous…, il doit pouvoir prendre une décision et voter une loi dans ce sens parce que si l’initiative peut venir de l’Assemblée ou bien du président, pourquoi ne pas explorer cette piste ? Je ne sais pas en quoi leur libération poserait problème. Dans ce pays on a vu, grâce à la conférence nationale, des gens qui étaient condamnés à mort sont revenus, sans perturber le fonctionnement du gouvernement, de l’Etat. Donc je ne trouve pas que ceux qui sont en train d’être gardés, si c’est seulement eux qui sont le problème au Bénin. Je ne pense pas. Plus on les garde, plus on est en train de faire des mécontents, et de frustrations en frustrations ça peut amener une détonation un jour. Ce qu’on ne souhaite pas pour le pays.

Est-ce que vous pensez que si on libère tous les prisonniers politiques la paix va revenir définitivement au Bénin ?

Comme je le dis, ou comme l’a dit quelqu’un, la paix n’est pas un vain mot. C’est le comportement. Si vous libérez les gens aujourd’hui et que demain vous réincarcérez d’autres, vous ne pouvez pas dire qu’il y aura la paix. Mais si on libère les gens et on montre la bonne foi, et on met tout à plat, et qu’il y a des canaux par lesquels les gens peuvent se plaindre, les gens peuvent montrer leur mécontentement, le gouvernement a les moyens ; donc je crois que la paix va revenir. Mais continuer par les garder et dire qu’on veut faire la paix, personnellement, on ne peut pas me convaincre de ce qu’il y a la paix avec ce qui se passe. Il faudrait vraiment qu’on les libère.

Est-ce qu’à Parakou, précisément à Zongo où nous nous trouvons, vous qui êtes victimes de ces genres d’arrestation de proches parents, vous vous êtes constitués ? Est-ce que vous avez mené des démarches ?

Vous savez, nous sommes dans un pays où on vous dit que même à cinq personnes, si vous vous réunissez, on peut vous disperser et vous taxer de n’importe quoi, et puis un jour on viendra vous chercher.

Pas forcément pour vous regrouper. Mais peut-être pour aller voir des autorités religieuses pour des plaidoyers par exemple ?

Nous ne l’avons pas fait. Et pour vous conter une petite anecdote, j’ai eu l’idée.  Mais la première démarche que j’ai menée, l’intéressé m’a dit : mon frère ! Je ne veux pas avoir affaire au gouvernement. Si des gens plus indiqués que moi n’ont pas pu régler le problème, ce n’est pas moi en tant que tête couronnée qui pourrais le faire. Donc, vous voyez, ce n’est pas de nature à ce que les gens se réunissent pour tenter un plaidoyer.

Propos recueillis et transcrits par Jacques BOCO

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