Albert Tévoédjrè : Un destin singulier !

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Le 06 novembre 2019, un baobab est tombé en terre africaine du Bénin. Albert Tévoédjrè s’en est allé à seulement quelques jours de ses 90 ans. Un détail qui n’a pas échappé à ceux qui, comme moi, ont eu la chance de le connaître dans son intimité : Il est parti au petit matin, fidèle à lui-même. Albert Tévoédjrè était, en effet, un homme matinal, un lève-tôt. Les matins étaient des moments de la journée qu’il affectionnait tout particulièrement, un temps d’espérance, un moment propice à la méditation, à la réflexion. Les matins où quand il avait, me confia-t-il un jour, des préoccupations particulières, des fulgurances et des réponses inspirées à ses inquiétudes du moment lui arrivaient toujours.

Comme le lever du jour fait sortir toute chose de la nuit, Albert Tévoédjrè est donc sorti de la nuit de l’indifférence, de l’oubli, et du reniement au petit matin du 06 novembre … mais dans une paix profonde. Oui, cette paix à laquelle il s’est constamment dévoué, en y consacrant une grande partie de son existence. Cette paix qu’il implorait et recherchait pour ce monde déchiré et qui nous a ensemble conduits en terres ivoirienne, malienne, nigérienne et ailleurs, s’est enfin établie en lui ! Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu…

J’ai eu l’immense privilège de faire la connaissance du Professeur Tévoédjrè courant septembre 2010, dans le contexte des préparatifs du Symposium international sur les cinquantenaires des indépendances africaines qui eut lieu à Cotonou, du 16 au 20 novembre 2010, avec pour thème : « L’audace, unique défi pour une Afrique nouvelle ».

Assistant du Ministre des Affaires étrangères de l’époque, Mon Aîné Jean-Marie Ehouzou, j’avais été instruit par ce dernier de préparer les projets de lettre d’invitation à adresser à un certain nombre de Chefs d’Etat et de Gouvernement ainsi qu’à des personnalités de haut niveau pour le Symposium. Il m’avait ensuite été demandé de porter ces projets de lettre au Professeur pour appréciation, avant leur transmission officielle au Palais de la Présidence.

Je me rendis donc un matin à son bureau de l’Organe Présidentiel de Médiation, sis à Porto-Novo, tout impressionné à l’idée que j’allais rencontrer, dans les minutes qui suivraient, une des figures marquantes et un des personnages les plus influents de l’histoire politique de notre pays, personnalité à la fois admirée, détestée, et crainte. Il me reçut quelques minutes plus tard. Ce qui me frappa tout de suite, ce fut sa grande simplicité et surtout son souci du détail.

Une fois les travaux du Symposium achevés, j’eus le privilège de revoir le Professeur à plusieurs reprises, toujours à son invitation. J’étais alors perplexe, me demandant bien souvent ce qui pouvait intéresser un octogénaire ayant un parcours comme le sien chez le jeune diplomate à peine trentenaire que j’étais. La réponse ne tarda pas à venir. En effet, le Professeur était toujours à l’affût de nouveaux jeunes cadres pour étoffer le groupe de ses fidèles et l’appuyer. A cette fin, il savait convaincre, en vous faisant comprendre combien vous serez ravi de travailler non pas pour lui, mais avec lui. La nuance était importante car, pour lui, ‘’ pour faire de grandes choses, il ne faut pas être au-dessus des hommes, mais avec eux’’, selon la célèbre formule de Montesquieu qu’il s’était appropriée.

A la faveur du remaniement ministériel intervenu en avril 2011, et qui consacra le départ du Gouvernement du Ministre Ehouzou, je finis par accepter la requête insistante du Professeur de rejoindre son Cabinet à la Médiation, en juillet 2011. Cette décision ne fut pas simple à prendre. Beaucoup de gens dans mon entourage me l’ont déconseillée, au regard de la réputation controversée de cette personnalité politique qui a toujours déclenché dans l’opinion des réactions de type fascination-répulsion, ne laissant à tout le moins personne indifférent. J’ai fait le pari d’aller apprendre à ses côtés, persuadé qu’une rencontre est toujours une opportunité de découverte et d’enrichissement. J’ai fait ce choix en toute lucidité, avec pour principale boussole cette pensée de Confucius : ‘’ Le bien est en tout, il faut savoir l’extraire’’. Je n’ai pas été déçu.

 Au fil du temps, j’ai appris à connaître l’homme, au-delà du personnage public. J’ai découvert un érudit incompris. Un octogénaire humble, apaisé, lucide sur son parcours, capable de confesser ses défauts en privé, d’exprimer des regrets, et surtout soucieux de l’héritage qu’il laisserait à la postérité. Un homme qui, mieux que quiconque, savait transformer ses dons en talents. A force de mémoire et de travail. Il avait une mémoire prodigieuse. Un homme à l’esprit agile et à l’intelligence supérieure, avec un esprit de finesse et une culture littéraire et historique hors du commun, sachant brillamment abriter sa pensée derrière le ‘’cache-sexe’’ des citations dont il avait fait une quasi religion. Mais Il n’y a pas de génie sans labeur. C’était, avant tout, un travailleur infatigable qui, mille fois sur le métier, savait remettre son ouvrage, pouvant parfois vous faire retravailler, jusqu’à l’épuisement, un article ou un discours. Il savait aussi mettre en scène sa propre action avec une virtuosité inégalée. Il produisait des écrits et ses idées à jet continu, comme une source intarissable, qu’il partageait quotidiennement par courriels avec un vaste réseau d’amis d’ici et d’ailleurs, composés à la fois de proches parents, d’anciens collaborateurs, de clercs, d’intellectuels, d’hommes politiques, de journalistes, ou de citoyens lambda. Si son érudition semblait inépuisable, il était aussi un lecteur infatigable, n’hésitant pas à me recommander bien souvent la lecture de certains ouvrages qui ont contribué à la construction de sa personnalité.

Il y a des hommes politiques dont on se dit qu’ils ne sont pas passés loin d’un grand destin et dont on regrette parfois que cela n’ait pas été le cas. Albert Tévoédjrè en était un.  C’est en effet l’un des hommes politiques les plus habiles et les plus stratèges du landerneau politique béninois, connu pour sa prescience du futur, étayée par sa connaissance du monde, de ses problèmes, de ses acteurs ; un homme connu aussi pour sa virtuosité oratoire et son agilité intellectuelle. Si l’intelligence était une vertu politique cardinale, il aurait été pape en politique.

 La politique : c’est toute sa vie. Albert Tévoédjrè sans la politique, c’est comme un prêtre sans la foi, un évêque sans cathédrale. Toutefois, sa conception de la politique, c’est la promotion collective des hommes : l’autorité, répétait-il inlassablement, c’est prendre les autres en charge pour les faire grandir. Il aimait également rappeler, à la suite du Pape Pie XI, que ‘’ la politique est le plus vaste champ de la charité’’, regrettant au passage que peu de chrétiens s’y engagent. Mais il en connaissait aussi la cruauté, les coups et les coups-bas, les blessures, les trahisons, les déceptions. Il avait rêvé d’un destin présidentiel. Il n’y sera jamais parvenu, ayant peu souvent été heureux électoralement à l’instar d’un Michel Rocard, d’un Pierre Mendes France, d’un Lionel Jospin ou d’un Laurent Fabius en France dont les trajectoires et destins en politique l’ont marqué. En grand fauve politique, il était familier des tempêtes qu’il savait gérer avec beaucoup de flegme. Quand un jour, à la faveur de nos échanges, je lui demandai comment il faisait pour supporter les médisances inéluctables en politique, il me répondit par une prière qui, disait-il, lui était d’un grand secours face aux contrariétés causées par les injustes perceptions et accusations calomnieuses : ‘’Jésus de Nazareth, Toi qui connais la vérité de mon cœur, rends-moi justice à Ta manière. J’ai confiance en Toi…’’

Albert Tévoédjrè était très attaché à sa foi chrétienne, avec une véritable mystique de la croix glorieuse et une dévotion particulière à l’Esprit Saint. C’était, me semble-t-il, la principale racine qui nourrissait ses multiples engagements au service de la paix, son attachement à la démocratie, aux droits de l’Homme, à la justice sociale (minimum social commun, contrat de solidarité, engagements en faveur des prisonniers, des albinos,…), à la destinée de l’homme en général, de l’homme noir, en particulier ; ce qui lui a valu d’être distingué le 23 mai 2013 au siège de l’Unesco à Paris, comme l’un des tout premiers citoyens universels. Quand il faisait le bilan de ses engagements au service de la dignité de l’homme, ce catholique fervent savait aussi reconnaître, en toute humilité, ses échecs.  Je peux ici témoigner, qu’à la faveur de son retrait annoncé de la vie politique le 30 septembre 2013, et à son initiative, il avait personnellement rencontré et/ou écrit à plusieurs personnalités politiques dont certains figurent au nombre de ses plus farouches contempteurs, pour leur exprimer, entre autres, ‘’ …ses regrets profonds pour toutes occasions manquées de fraternité montante…’’ Il aimait, tout spécialement, la prière que faisait Charles Péguy : « Nous ne demandons rien, refuge du pécheur, que la dernière place en votre purgatoire… »

Somme toute, Albert Tévoèdjrè est inaltérable et inoxydable. Comme l’a écrit Jérôme Carlos : <<Ce qui a de la valeur traverse les âges sans s’altérer. Les étoiles restent fidèles à leur trajectoire astrale. Aujourd’hui, demain, toujours…. >>. Albert Tévoédjrè  était une étoile.

Pierre Corneille, dans Polyeucte, nous a  laissé en héritage cette précieuse réflexion, fulgurant de vérité :

<< Si mourir pour son prince est un illustre sort, quand on meurt pour son Dieu, quelle sera la mort ?

-Quel Dieu ?

C’est le Dieu des chrétiens, c’est le mien, c’est le vôtre

Et la terre et le ciel n’en connaissent pas d’autre ! >>

Merci à Dieu d’avoir fait à notre Dahomey devenu Bénin et à l’Afrique, la grâce du don d’un aussi lumineux symbole qui a su envoyer à l’humanité toute entière, durant son parcours terrestre, quelques reflets de ses rayons !

 

Cotonou, le 17 novembre 2019

Marius LOKO, Diplomate,  ancien Chef de Cabinet

du Professeur Tévoédjrè, Médiateur émérite de l’Association des Médiateurs des Pays Membres de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (AMP/UEMOA)

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