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Le philosophe n’a-t-il pas dit que « le bon sens est la chose du monde la mieux partagée » ! (Descartes, 1637). Le sociologue pourrait alors lui répondre que « l’argent est la chose du monde la mieux recherchée ».
L’argent est à la fois une réalité concrète et une réalité abstraite. En effet, à l’origine l’argent était d’abord un métal. Un métal rare qui a acquis de la valeur. Cette valeur lui a conféré d’être utilisé comme monnaie dans les échanges et transactions.
Il est une réalité abstraite parce qu’à proprement parler, l’argent n’est pas quelque chose qu’on peut transporter ou déplacer. L’argent n’est pas tangible, ni touchable en tant que réalité unique, unifiée et quantifiée. Ainsi, dire que Bill Gates, ou Dangoté, « a de l’argent », voudrait signifier exactement quoi dans le langage de notre société moderne ? En fait, dire que quelqu’un a de l’argent signifie simplement qu’il est riche, qu’il a une fortune, qu’il a accumulé de la richesse. Or, personne ne se déplace avec toute sa richesse, à moins que celle-ci ne se résume à une bicyclette.
La richesse était assimilée aux terres, territoires, bétails et serviteurs possédés par quelqu’un. Mais aujourd’hui, elle est une réalité plus subtile. On parlera de possession d’entreprises, d’usines, d’actions, de capital, de finance, et même d’image. La richesse de certains, c’est leur image savamment construite à coup d’artifices et entretenue par des stratégies de communication.
Oxfam (2019) dans son rapport sur l’état de la richesse dans le monde parle d’écarts abyssaux des richesses. Tout l’argent du monde est accaparé par une minorité ultra-privilégiée. La richesse des 1% les plus riches de la planète correspond à plus de deux fois la richesse de 90% de la population mondiale. Les deux tiers des milliardaires tirent leur richesse d’un héritage, d’une situation de monopole ou de népotisme.
Au delà de l’accumulation des biens matériels et immatériels, la richesse c’est surtout un pouvoir. Avoir l’argent c’est détenir un pouvoir. Il s’agit ici en particulier de deux types de pouvoir qui se complètent : le pouvoir de faire et le pouvoir de faire faire.
Pour le premier type, le pouvoir de faire, l’argent confère une capacité, le pouvoir de faire quelque chose : une acquisition, une consommation ou une action. Celui qui a l’argent (le riche) peut à peu près tout s’offrir et tout se permettre de façon presque illimitée. Sa seule barrière est sa volonté : celle de faire ou de ne pas faire. L’argent lève les barrières et raccourcit les distances. Celui qui a l’argent s’offre un monde de possibilités. On a presque envie de dire « à un riche, rien d’impossible », si ce n’est l’impossibilité de s’acheter son propre souffle.
Par cette capacité de pouvoir tout faire, le riche s’autorise le second type du pouvoir de l’argent : le pouvoir de faire faire. Avec l’argent, le riche a le pouvoir d’agir sur les autres. Il a le pouvoir d’assujettir les autres, le pouvoir de dominer, le pouvoir d’influencer. Il a le pouvoir de contrôle quasi total sur un système. D’ailleurs, avec l’argent le riche n’est plus dans un système. Il se substitue au système, en contrôle toutes les entrées et les sorties et fait tourner tout autour de lui-même. C’est là où réside tout l’enjeu de l’argent et de la course à son accumulation.
Dans la sphère politique qui est le champ par excellence du pouvoir, l’argent est présent partout. C’est le seul endroit où la personne qui détient ce pouvoir s’octroie le droit légitime d’utiliser l’argent de tout le monde (les impôts et taxes). Là où il y a l’argent, il y a le pouvoir. Là où il y a le pouvoir, l’argent n’est pas loin. Les deux s’imbriquent et se confondent de sorte que l’argent contrôle le pouvoir et le pouvoir attire l’argent.
Dans les espaces domestiques et privés, l’argent intervient également. L’argent est un puissant aphrodisiaque. Il est capable de réguler les désirs entre homme et femme. Jean-Claude Kaufmann (2017) pourra ainsi dire que « plus les hommes sont riches, plus ils amplifient leur demande en excellence esthétique, plus les femmes sont belles (ou considérées comme telles), plus elles amplifient leur demande en excellence sociale.
Toute la société se trouve ainsi structurée ou déstructurée autour des valeurs ou contre –valeurs générées par l’argent. Dans la réalité sociale, tout obéit à l’argent. Le travailleur vend sa force de travail pour de l’argent. Des Hommes vendent leur corps et même leur âme pour de l’argent. D’autres vendent leur personnalité pour de l’argent. Pour d’autres encore, l’argent est une fin ultime. Il faut en avoir quel que soit le prix à payer.
L’argent a le pouvoir de révéler l’individu à lui-même et nul ne peut se vanter d’une vertu sans avoir fait le test de l’argent. L’argent fait frémir presque tout le monde et personne n’est insensible face à l’argent. L’argent est capable d’embrouiller le raisonnement du plus éclairé. L’argent peut faire perdre sa vertu au plus pieux. Le manque d’argent rend fébrile et irritable. La possession de l’argent donne de l’assurance.
Il faut rappeler pour finir que le système est bâti de telle sorte que les riches soient toujours plus riches et les pauvres toujours plus pauvres. Certes, il y aura des miraculés et de temps en temps quelques riches accidentels. Néanmoins, afin que le triomphalisme des riches soit plus modeste, rappelons ici les paroles du sage Salomon : « Celui qui aime l’argent n’est pas rassasié par l’argent, et celui qui aime les richesses n’en profite pas. » Ecclésiaste 5 : 9.
Dr ABOU Elvis
Sociologue
Chercheur au LARRED
elvisabou@gmail.com
