A Cœur ouvert avec Koubourath Osséni, Grande Chancelière sortante: «(…) en mon for intérieur, j’ai le sentiment d‘avoir accompli ma mission »

Nommée Grande Chancelière de l’Ordre National du Bénin en 2009, Koubourath Osséni devrait rendre le tablier en 2019, après un mandat de 5 ans renouvelable une fois. Mais à cause de la réforme de la Vice-Présidence, elle a bénéficié d’une rallonge de 2 ans. Dimanche 23 mai 2021, après l’investiture du chef de l’Etat pour un second mandat, sa colistière Mariam Chabi Talata, devenue Vice-Présidente, va prendre les rênes de la Grande Chancellerie. Dans une interview accordée à Matin Libre, La Nation et Ortb Tv, Koubarath Osséni parle de la Grande Chancellerie, du cheminement de réception d’un citoyen dans l’Ordre national, de son bilan et de la Vice-présidente du Bénin.

 

Madame la Grande Chancelière. Quand on questionne les archives, votre décret de nomination (n°2009-051) date du 2 mars 2009. Il paraît que le Grand Chancelier ou la Grande Chancelière, ça ne se change pas comme ça. C’est à vie, sauf cas de force majeure. Vous confirmez?

C’est faux, archi faux. La loi qui régit la Grande Chancellerie dit que c’est un mandat de 5 ans renouvelable une fois. Donc moi j’ai fini mon mandat depuis mars 2019. J’ai été voir le président et je lui ai dit j’ai fini, je dois partir. Il a dit non, reste on verra après. C’est pour ça que j’ai encore fait 2 ans en plus.

Qui peut être Grand Chancelier ou Grande Chancelière de l’Ordre National ?

C’est le président qui décide. C’est un poste dont la nomination revient exceptionnellement au président de la République.

Parlant des Ordres nationaux, il en existe combien au total (du plancher jusqu’ à la dernière distinction) ?

Il y a l’Ordre National du Bénin, l’Ordre du Mérite du Bénin, l’Ordre du Mérite agricole et l’Ordre du Mérite social. Ça fait 4 au total. Dans chaque Ordre, dans l’Ordre National par exemple, il y a l’Ordre de Chevalier, d’Officier, Commandeur, Grand Officier et Grand-Croix. Donc dans l’Ordre National du Bénin, il y a 5 grades. Dans les autres, c’est 3 : Chevalier, Officier, Commandeur.

Qui peut être admis dans l’un des Ordres et quel est le cheminement pour y arriver ?

Tout citoyen ayant prouvé qu’il a travaillé pour sa Nation, ayant des mérites pour sa Nation, ayant fait évoluer l’Etat, ayant sauvé des vies, etc. C’est tous ceux-là qui sont candidats à la citation dans l’Ordre. Puisqu’on les cite dans l’Ordre d’abord avant de faire la cérémonie de réception  dans l’Ordre. Il y a votre parcours professionnel, votre cursus académique, votre expérience professionnelle et tout ce que vous avez fait pour faire avancer la Nation. Et tout ceci, normalement se trouve dans votre Mémoire. Mais avant que le Mémoire n’arrive, le processus est le suivant. Chaque trois ans, nous envoyons dans tous les services de l’Etat, tous les ministères de l’Etat et dans toutes les Institutions une lettre demandant de nous envoyer les noms des citoyens méritants. Et nous donnons les critères comme tout ce qu’il a fait pour la Nation. D’abord pour être décoré, il y a un minimum. Il faut être âgé d’au moins de 30 ans et avoir exercé au moins 10 ans. C’est les critères de base. Après ce sont les chefs hiérarchiques qui déterminent la valeur de chacun là-bas et ils nous envoient le dossier. Eux ils peuvent déterminer mais cela ne nous lie pas. Là où ça nous lie, c’est quand on aura vu le Mémoire, qu’on l’aura étudié. Et si on a le Mémoire et qu’on voit qu’il y a quelque chose qui cloche, nous avons nos propres enquêteurs pour aller sur le terrain. Parmi nous les conseillers, il y a des commissaires à la retraite mais qui peuvent aller sur le terrain, faire des enquêtes sans que vous ne sachiez. Si le Mémoire est trop bon, on se dit qu’il y a quelque chose. Et on s’en va chercher à la source si vraiment la personne mérite d’être citée dans l’Ordre.

Le deuxième processus, c’est la citation à titre exceptionnel mais cela c’est fait par le chef de l’Etat, Grand Maître de l’Ordre.

Beaucoup de citoyens se plaignent des dépenses qu’ils font avant d’avoir une petite médaille à la poitrine. Les distinctions sont-elles commercialisées par l’État ?

L’Etat ne commercialise rien du tout. Mais c’est un système de Revolving. Nous commandons les médailles. Nous ne les fabriquons pas ici. Et quand les médailles arrivent, ça coûte. Dès fois, c’est 200 millions FCFA, dès fois 300 millions FCFA. Il y a tous les Ordres qui arrivent. C’est beaucoup d’argent. Quand on vous nomme, vous payez votre médaille pour que le prochain puisse avoir aussi droit à une médaille. Il faut qu’on recommande les médailles quand elles sont finies. Voilà pourquoi chacun doit payer sa médaille. Après avoir payé la médaille, vous ne payez plus rien. D’ailleurs ici, nous ne recevons pas d’argent. Ça se paie au niveau des Domaines, au niveau des impôts. C’est les Domaines qui prennent l’argent. J’ai vu des quittances qui viennent de là-bas. On ne connait pas la couleur de l’argent ici. Derrière moi, je ne sais pas ce qui se passe. Mais moi, c’est clair que je ne connais pas la couleur de l’argent des gens qui viennent ici.

Que gagne en retour un citoyen reçu dans l’Ordre National du Bénin ? Juste l’honneur ?

Le citoyen fonctionnaire, quand il est reçu dans l’Ordre, il grimpe d’un échelon dans sa carrière. Je vois que c’est un peu pour ça que les fonctionnaires y tiennent beaucoup. Quand il est cadre A1-3, par exemple, il passe à A1-4. A part ça, je ne connais pas d’autres avantages. Je sais que dans les pays où nous avons hérité cette tradition, quand vous êtes un décoré de la Nation, vous portez toujours vos pin’s. Ici, les gens n’ont pas la culture de porter des pin’s. Et quand vous portez les pin’s dans ces pays, ça vous donne, par exemple, quand vous êtes dans un rang, on vous cède la place. Vous êtes respecté et vous êtes souvent invité dans les cérémonies publiques de l’Etat.

Conformément aux réformes politiques et constitutionnelles intervenues en 2019, vous devez passer services dans quelques jours. Combien de personnes environ sont  »décorées » sous vous?

On a étudié en tout, de 2019 à 2021, 4803 dossiers. Il y a eu 4860 réceptions dans les divers Ordres nationaux.

Quelles sont les éventuelles touches que vous avez apportées à la Grande Chancellerie ?

D’abord, il y a la touche féminine. Ce n’était que des hommes qui étaient là tout le temps. Une femme est arrivée donc forcément ça change. Je ne suis pas habilitée à parler de moi-même mais la touche féminine est là. Personne ne démentira que la Grande Chancellerie a été mise à la lumière.

Tout bilan fait, des regrets ou vous vous dites mission accomplie avec un sentiment de fierté ?

Ce n’est pas à moi de juger. Mais en mon for intérieur, j’ai le sentiment d‘avoir accompli ma mission. Je l’avoue. Je ne me vante pas. Mais je n’ai pas l’impression que c’est du travail non accompli. J’ai fait ce que j’ai pu. Peut-être que tout le monde ne sera pas satisfait. Mais moi je pense que j’ai fait honnêtement ce que j’ai pu.

Toujours prête à servir encore ou vous allez vous retirer de la scène ?

Laissez-moi me reposer d’abord et après on verra.

L’ex Vice-présidente du Parlement récemment élue Vice-présidente du Bénin, en duo avec le chef de l’État, va prendre les rênes de la Grande Chancellerie. Quels mots, quels conseils  à lui prodiguer ?

Quand je vais faire ma passation de service, nous allons nous voir en tête-tête probablement, et je lui dirai ce que j’ai à dire. Ce ne sont pas des conseils publics.

Quelles sont les difficultés rencontrées?

Il n’y en a pas eu beaucoup. La seule, c’est la gestion financière. Nous n’avons pas un budget autonome. Nous avons un budget qui est compris dans le budget de l’Etat. Et ça fait partie du budget de la Présidence de la République puisque nous sommes directement rattachés à la Présidence de la République. Mais je n’ai pas d’intermédiaire entre moi et le président de la République. Donc notre budget vient des lignes du budget de la Présidence.

Regard sur les nouvelles réformes

La seule réforme qui nous concerne c’est que c’est le Vice-président qui devient Grand Chancelier. Mais Dieu Merci je suis bien contente que ça soit une femme. Le seul changement c’est que ce n’est pas le président qui nomme. Elle a été élue, c’est la colistière du président, la Vice-Présidente qui sera la Grande Chancelière. C’est la seule différence. Moi j’ai été nommée par un président et j’ai continué sous un deuxième président et là elle a été investie par le peuple comme colistière du président Talon.

 

Propos recueillis par Bertrand HOUANHO