Non reconnaissance des diplômes arabes au Bénin et au Cameroun : Intellectuels arabisants ou des diplômés de basse échelle ?
Des milliers de diplômés béninois et camerounais sortis des universités arabes se heurtent, depuis des décennies, à la non-reconnaissance de leurs diplômes, de leur savoir et savoir-faire dans leur pays. Si le marché de l’emploi demeure toujours incertain pour ces intellectuels arabisants pourtant nantis de grands diplômes, ces derniers ne cachent pas leur frustration. Et le hic, c’est l’indifférence des autorités compétentes face à l’émergence de plus en plus accrue de cette nouvelle élite musulmane…
Si au Bénin, il est difficile d’avancer un chiffre approximatif des intellectuels sortis des universités arabes, un nombre d’environ dix mille (10 000) est évoqué au Cameroun. Ils sont donc des milliers de jeunes béninois et camerounais à avoir étudié dans des universités en Lybie, au Soudan, en Arabie Saoudite, au Koweit, aux Emirats Arabes Unis et autres pays du Golfe. Pourtant, à leur retour au pays, ils sont confrontés à un problème de non-reconnaissance de leur diplôme universitaire. En effet, la perception généralement faite de cette élite musulmane est qu’ils n’ont appris que le coran. « Ce qui n’est malheureusement pas fondée », se désole Abdoulaye Karim Alassane, doctorant en développement E-mail dans une université à Riyad en Arabie saoudite. A en croire cet intellectuel arabisant rencontré à Kandi dans la partie septentrionale du Bénin, ils sont « lassés de courir après les autorités béninoises pour obtenir la légitimité de leur savoir et l’équivalence de leur diplôme », seule porte d’accès au marché de l’emploi et à la fonction publique. Après son master dans une université libyenne, il raconte avoir « erré sans s’offrir un emploi pendant plus d’un an » avant de bénéficier d’une bourse d’étude dans une université en Arabie saoudite pour y faire son doctorat. Très frustré, il déplore avoir saisi, sans succès, l’occasion des grands sommets en Lybie pour exposer leur amertume aux autorités béninoises. Des courriers sont aussi envoyés à l’Assemblée nationale. Sans résultat. « Nous avons également rencontré l’ancien président, Boni Yayi, au cours de son premier mandat. Quand il était arrivé en Lybie, nous lui avions posé le problème. Nous avons des collègues du Niger, du Mali, de la Guinée Conakry et même du Ghana qui servent dans la fonction publique avec les mêmes diplômes. Pourquoi au Bénin, il y a une telle discrimination avec la langue arabe. La science ne connait pas la langue », s’offusque-t-il.
Comme lui, ils sont de plus en plus nombreux, ces intellectuels arabisants béninois, à clamer haut et fort que leurs connaissances ne peuvent être remises en cause même s’ils ont fait leurs études dans la langue arabe. Même son de cloche du côté du président de la ligue des intellectuels arabophones du Cameroun, Ibrahim Baba. Dans ce pays, tous les intellectuels arabophones ne sont pas traités de la même manière. Il y a un déséquilibre entre les diplômés en sciences et ceux en théologie. «
Nous ne connaissons pas le même sort à la fin de nos études. Ceux qui détiennent des diplômes dans des filières scientifiques ne connaissent pas tellement de difficultés d’équivalence de leurs diplômes. Par contre, ceux qui sont issus de l’Université de Médine, une université qui forme principalement en théologie, sont simplement exclus du système d’équivalence », explique-t-il. La situation est, par contre, plus complexe au Bénin. Ibrahim Traoré Sabirou, intellectuel arabisant en troisième année d’éducation à l’Université international entente de Niamey au Niger, imam prédicateur et enseignant dans des écoles arabes, estime « qu’au Bénin, peu importe la filière étudiée dans les pays arabes ou les universités de langue arable, si ce n’est pas la langue française, il ne faudra rien espérer faire de ton diplôme au Bénin. Tu es considéré comme nul ». Egalement titulaire d’une maitrise de l’Université Saad au Niger, une université de langue arabe, Bakary Gado Idriss Adam est réduit à prêcher dans les mosquées depuis 2003. Face à cette réalité, ces diplômés béninois des universités arabes se désolent de la situation et n’arrivent pas à admettre qu’ils aient pu étudier pendant tant d’années sans pouvoir s’en servir dans leur pays. Pendant qu’au Cameroun, ils créent des écoles arabo-islamiques, au Bénin, ils se mettent au service des Ong de charité et d’actions humanitaires qui sont d’obédience musulmane. Un pis-aller pour échapper à l’oisiveté. Alors qu’ils espéraient, à la fin de leurs études, servir au moins dans les ambassades comme interprètes, dans les écoles pour enseigner la langue arabe et dans des structures étatiques, selon leurs compétences, ils se retrouvent face à une double barrière : la langue arabe et la législation en vigueur.
Entre handicap linguistique et la flexibilité des textes…
La langue arabe est perçue comme le principal handicap à l’équivalence des diplômes de cette élite musulmane. En effet, si la Constitution béninoise du 11 décembre 1990 fait de l’éducation, une priorité nationale, la loi n°2003-17 du 11 novembre 2003 portant Orientation de l’éducation nationale en République du Bénin stipule en son article 8 que l’enseignement est dispensé principalement en Français, en Anglais et en langues nationales. Une législation sur laquelle se fondent les travaux d’études d’équivalence des diplômes obtenus à l’étranger. Ce critère remet en cause l’enseignement des langues allemande et espagnole dans les cours secondaires et crée une inégalité quant au refus d’enseignement de la langue arabe au Bénin. La création de l’Institut de langue arabe et de culture islamique (Ilaci) à l’Université d’Abomey-Calavi (Uac) par l’Etat libyen visait à corriger le tir. Selon Yessoufou Souleymana, Maitre de conférences des universités et directeur de cet institut sous-régional, le but visé est l’introduction de la langue arabe dans les écoles et collèges comme une seconde langue au même titre que l’anglais, l’espagnol et l’allemand. Mais le rêve est, à ce jour, encore loin de se concrétiser. Si les diplômes d’Ilaci sont cosignés par le recteur de l’Uac et le doyen de la Faculté en Lybie, ils n’offrent pas assez de débouchés pour la vie active notamment dans la fonction publique. Seules deux filières sont disponibles à l’Ilaci : l’interprétariat et la culture islamique. La crise libyenne n’a pas épargné l’Institut qui se trouve actuellement en difficultés.
Ce triste sort des intellectuels arabisants béninois est pourtant bien connu des autorités béninoises. Dodji Amouzouvi, Professeur titulaire de sociologie et Directeur des établissements privés d’enseignement supérieur au Bénin, est conscient de la frustration qu’il en résulte. Il estime qu’il est « souhaitable que les textes suivent l’évolution de notre société ». « Il faut adapter les textes aux réalités d’aujourd’hui si non demain, ça pourrait être le début de ce que je ne veux pas nommer », prévient-il. Face à l’inflexibilité des textes, le secrétaire général de l’Union islamique du Bénin (Uib), imam Djelil Yessoufou, exhorte les autorités à faire un effort d’interprétation des textes pour garantir l’équivalence des diplômes de cette élite. Il déplore, cependant, qu’après de nombreuses démarches faites de multiples séances de travail avec les autorités notamment des cadres du ministère de l’enseignement secondaire, l’espoir n’est pas pour bientôt. Par ailleurs, l’Uib compte sur son ancien vice-président, actuellement député à l’Assemblée nationale et d’autres députés musulmans pour faire le lobbying afin de faire évoluer la situation voire la régulariser. Au Cameroun, la législation n’est pas non plus favorable à l’équivalence des diplômes obtenus dans les universités arabes. L’article 3 de la loi n°98/004 du 04 avril 1998 portant orientation de l’éducation au Cameroun stipule que « l’Etat consacre le bilinguisme à tous les niveaux d’enseignement comme facteur d’unité et d’intégration nationales ». Et la précision est davantage donnée sur cette option du biculturalisme à l’article 15 de ladite loi. « Le système éducatif est organisé en deux sous-systèmes, l’un anglophone, l’autre francophone », précise cette disposition légale. Toute chose qui laisse moins de marge aux diplômés camerounais des universités arabes. Le comble est que cette élite musulmane n’est pas prête à considérer leur situation comme une fatalité.
Espoir au Cameroun… incertitude au Bénin
Réunis au sein de la Ligue des intellectuels arabophones du Cameroun, les diplômés arabisants camerounais ont conçu le projet d’insertion socioprofessionnelle des intellectuels arabophones du Cameroun (Ispac). Un projet qui consiste à offrir une formation complémentaire adaptée dans divers domaines aux arabophones pour favoriser l’insertion socioprofessionnelle dans les secteurs de l’administration publique ayant exprimé le besoin des compétences de ces arabisants. Mais le plus grand nombre des bénéficiaires seront accompagnés à s’installer à leur propre compte avec un financement suivant les principes islamiques remboursable sur cinq ans, c’est-à-dire sans intérêt. Selon le président de la Ligue, Ibrahim Baba, « le projet est soumis et accueilli favorablement par le ministère de l’emploi et de la formation professionnelle ». D’un coût estimé à environ dix (10) milliards de francs Cfa, le projet sera financé à hauteur de 80% par la Banque islamique de développement (Bid). Si le projet propose des solutions opérationnelles, il s’inscrit dans la durée.
Pendant ce temps, au Bénin, des dispositions concrètes peinent à être prises. Non seulement des actions communes peinent à se constituer comme c’est le cas au Cameroun, mais certains arabophones en veulent à l’ancien bureau de l’Union islamique du Bénin. Ils reprochent à leurs aînés de n’avoir pas profité des nombreuses rencontres avec le Chef de l’Etat et membres du gouvernement pour plaider en leur faveur et surtout de n’avoir pu rien initier pour infléchir la situation. Cependant, des initiatives ont été prises par le passé quand bien même, elles n’ont pas abouti. Ancien ministre et préfet sous le Président Mathieu Kérékou, Houdou Ali avait initié un projet qui consiste à introduire la langue arabe dans les écoles et collèges tout en recrutant des intellectuels arabisants pour la dispenser comme l’anglais, l’espagnol et l’allemand. Il envisageait de mettre en place un projet pour avoir le soutien des pays arabes qui les forment afin qu’ils prennent en charge leurs salaires ainsi que ceux des arabophones qui serviront dans le secteur de la santé, de la justice et autres secteurs. Ceci, annuellement sous forme de Zâkaat. « Etant attachés à la promotion de la langue arabe, point de doute que ces pays arabes acceptent le projet », explique Houdou Ali, très confiant. Ainsi, l’Etat béninois bénéficie de leurs services mais les charges salariales reviennent aux pays arabes. «…La langue arabe fait désormais partie des langues de travail reconnues par l’Onu, on a donc aussi besoin de l’arabe comme le français et autres au Bénin », poursuit-il. Mais faute de parrainage de l’Union islamique du Bénin qu’il accuse de négligence, le projet n’a pu prendre forme. En attendant que quelque chose ne soit faite, cette élite qui se trouve marginalisée dans une société qui ne reconnaît que des compétences acquises dans des universités occidentales, s’accorde sur la nécessité que l’Etat béninois leur offre des formations supplémentaires en langue française pour renforcer leur opérationnalité. Pour Salifou Bouraïma, sage et membre du Conseil supérieur de l’Uib, il juge impératif que les intellectuels arabophone s’organisent pour plaider leur cause auprès des gouvernants. Mais pour l’heure, la frustration grandit de Cotonou à Yaoundé. Elle est très perceptible dans la région septentrionale du Bénin.
Aziz BADAROU avec la collaboration de Younoussa Ben MOUSSAWDE (Radio Arrissala FM du CAMEROUN)