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L’évocation de la famille éveille en l’individu bien de sentiments : sentiment de paix et d’assurance, parfois de crainte ; sentiment de confiance, parfois de méfiance ; sentiment d’amour, parfois de haine ; sentiment de reconnaissance, parfois de rejet ou de défiance. Cette ambivalence des sentiments est peut-être justifiée. Ce qui tue l’homme ou le sauve n’étant jamais loin de lui.
Quoi qu’il en soit, la famille est cette unité sociale là qui a vu naître l’individu. Elle existe avant lui, elle subsistera après lui. La famille forge l’individu, le façonne, le modèle pour lui donner sa principale identité. Elle donne à l’individu un nom, une idéologie, une histoire, une culture, une éducation.
Chaque individu sur la terre vient d’une famille. Personne ne sort du néant. Même le fou qui marche nu dans la rue vient d’une famille. La famille ne se limite pas au premier cercle restreint du père, de la mère et des frères et sœurs. Elle va au-delà. La famille c’est aussi cet ensemble complexe et diffus de liens de parenté qui tiennent les individus dans une forme de communauté de destin les obligeant à une certaine réciprocité d’obligation. Elle est constituée de personnes au destin différent mais solidaire.
La famille n’est pas seulement ceux que nous connaissons. Elle est surtout constituée de personnes que nous découvrons. L’individu se retrouve en effet au milieu de personnes qui sont nées avant et après lui. Il est accueilli dans une famille qu’il découvre malgré lui parfois. On ne choisit pas sa famille, on l’adopte. Serge Vallon (2006) dira qu’elle est comme une matrice, un utérus collectif, d’où sortirait chacun de ses membres.
La communauté de destin que suggère la famille fait qu’elle ne concerne pas seulement ceux que nous voyons. Elle a un prolongement invisible et spirituel. Ceux qui sont morts ne sont plus là. Mais le lien de la famille les met en communauté avec les vivants puisqu’ils laissent un héritage que les vivants doivent gérer.
Ces différents héritages conduisent à parler de bonne famille ou de mauvaise famille. il y a des familles désirées, il y a des familles redoutées ; il y a des familles glorieuses, il y a des familles ordinaires. Les actes et les faits du passé suivent les membres de la famille comme un manteau qu’on porte. La famille lègue à l’individu ses actifs et ses passifs.
Dans ses actifs, on peut y voir les hauts faits de la famille, les actes de bravoure, la renommée, la notoriété, l’honneur, la réputation de la famille. Toutes choses concourant à hisser l’individu sur un piédestal d’orgueil et de fierté souvent légitime, parfois démesuré.
A contrario, dans les passifs légués par la famille, on y voit ses côtés sombres, ses zones d’ombre, les histoires qu’on cache et qu’on dissimule, les rumeurs salissantes qui trainent à travers les âges dont personne ne détient vraiment la preuve à part ce que les anciens ont dit, les traumatismes générationnels transmis de père en fils et de mère en fille, etc.
Il y a surtout ces petits secrets de famille que celle-ci trimballe avec embarras, jouant des pieds et des mains pour qu’ils ne se sachent point. Toutes les familles ont leur secret. Chaque famille a ses angoisses. Chaque famille a son coffre à secret. Chaque famille a son histoire qui fait rougir.
Tout comme dans chaque maison, il y a des espaces poubelles, chaque famille a ses espaces poubelles dans l’histoire. Il revient à chaque famille de ne pas se laisser envahir par ses poubelles. Les poubelles, on les traite, on les brûle, on les enterre quand c’est possible pour que l’air devienne respirable.
L’adage ne dit-il pas que le linge sale se lave en famille ! Chaque famille a donc son linge. Et ces linges ne sont pas tous propres. Et l’adage a bien fait de dire qu’il doit se laver en famille. Tant qu’on le peut, il faut s’évertuer à ne pas accumuler les linges sales de la famille. Tant qu’on le peut, il faut s’efforcer de ne pas salir d’autres linges. On ne s’en défait pas facilement.
Dr ABOU Elvis
Sociologue
Chercheur au LARRED
elvisabou@gmail.com
